«Les Jeux olympiques en valent-ils la chandelle?» Le titre du livre de Jean-Michel Decroly, paru aux Éditions de l’Université de Bruxelles, reflète la dissonance entre le discours des organisateurs et l’impact réel de ces grandes fêtes du sport.
«Suite au virage marchand opéré à partir des années 1980, les Jeux en valent la chandelle sans doute pour une liste de plus en plus longue d’organisations et de firmes», constate le codirecteur de l’Unité de gestion de l’environnement, société et territoire (GESTe) à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). «Les grands réseaux médiatiques transnationaux qui tirent de l’événement de substantielles recettes publicitaires. Les équipementiers et autres sponsors des stars de l’olympisme tirent également leurs marrons du feu. Il en va de même pour plusieurs firmes des secteurs de l’hébergement, de la restauration, de l’événementiel et du transport aérien.»
Le donut intervient
Bâtie par Kate Raworth et l’ONG Oxfam, la théorie du donut développe un espace juste et sûr pour l’humanité, l’économie du donut. «L’objectif de l’économiste britannique a été de compléter le cadre conceptuel des limites planétaires en y intégrant des dimensions sociétales», explique le professeur de géographie humaine, démographie et tourisme à l’ULB. «Plutôt que de mettre au centre de l’analyse le développement économique, elle a adopté une approche fondée sur les besoins de base, dont la satisfaction permet aux humains de s’épanouir et de trouver une dignité.»
«En combinant limites planétaires et nécessités de base, Kate Raworth dessine les contours du donut, qui comprend un plafond environnemental et un plancher social. Un cadre d’analyse bien plus pertinent que celui du développement durable pour questionner les effets des Jeux olympiques sur la population des villes hôtes. Et sur l’environnement local ou global.»
La croissance spectaculaire de la taille des JO les éloigne du donut en pesant davantage sur l’environnement. Et sur les nécessités de la vie. Les restrictions de circulation et les mesures de sécurité réduisent les libertés individuelles. Rendent pénible la vie des habitants et des usagers.
Aveuglement ou hypocrisie
Lorsque la crise climatique s’accélère, «la poursuite d’activités zombies comme les JO est le symptôme de l’aveuglement ou de l’hypocrisie de nombreux décideurs, privés ou publics», note le chercheur.
«Malgré les engagements pris à partir du milieu des années 1990, l’empreinte environnementale locale ou globale des Jeux n’a pas substantiellement diminué et reste élevée. Sur le plan climatique, par exemple, on est encore très loin de voir se dérouler une édition zéro carbone. Malgré les efforts qui peuvent être menés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liés à la construction des équipements sportifs, et non sportifs, des Jeux. Tant qu’une partie des athlètes, accompagnateurs, officiels, journalistes et surtout spectateurs viendront de loin. Et seront donc obligés de prendre l’avion.»
Les Jeux n’en valent pas la chandelle pour les nombreux habitants des villes hôtes. «En particulier pour les plus vulnérables», dénonce Jean-Michel Decroly. «Alors même que ce sont eux qui assurent le financement de la compétition par le biais de leurs impôts.»
Pendant la Rome antique, les jeux étaient accessibles à tous les citoyens… «Aujourd’hui, les classes populaires des villes hôtes peinent vraisemblablement à accéder aux enceintes dans lesquelles se déroulent les compétitions olympiques. Le dispositif mis en place pour Paris 2024, derrière son vernis d’accessibilité à tous, devrait conduire à ce que les tribunes soient principalement garnies de spectateurs issus des classes intermédiaires et dominantes.»
Gigantisme et passéisme
Pour le docteur en sciences géographiques, les JO sont victimes de leur gigantisme et de leur passéisme. «Plusieurs scénarios, formulés par des acteurs issus d’horizons variés se partagent entre des propositions qui visent à maintenir les Jeux. Mais en modifiant de manière plus ou moins importante leur formule. Et l’idée d’un abandon pur et simple des Jeux.»
Sportif de haut niveau, le journaliste français Jean-François Brisson a envisagé d’implanter un site permanent des Jeux sur chaque continent. Pour faciliter l’accès aux athlètes et aux spectateurs des différentes parties du monde. «À terme, la mise en œuvre d’un tel scénario permettrait de fortement réduire les dépenses d’investissement liées aux Jeux olympiques et l’empreinte carbone de la construction de nouveaux équipements», pense le chercheur.
Un premier pas pour Jean-Michel Decroly serait de «supprimer le double héritage du nazisme que constituent la cérémonie d’allumage de la flamme à Olympie. Et le relais de la torche olympique jusqu’à la ville hôte.»