L’existence de cellules souches dites cancéreuses a été démontrée il y a une quinzaine d’années. Leur présence est aujourd’hui documentée dans de nombreux types de cancers (sein, sang, côlon, etc.). Elles jouent un rôle central dans le développement des tumeurs, et sont considérées comme les principales suspectes pour expliquer les cas de récidives chez les patients. Néanmoins, leur fonctionnement demeure méconnu.
Mieux comprendre ces unités biologiques est l’objectif du projet tRNAtoGO, piloté par Francesca Rapino. Cette chercheuse qualifiée FNRS au « Laboratory of Cancer Signaling » au sein du GIGA (ULiège) bénéficiera, dès février 2021, d’une bourse du Conseil européen de la Recherche (ERC) pour mener à bien son étude.
Des cellules souches à l’origine des tumeurs
Comme leur nom l’indique, les cellules souches cancéreuses (CSC) sont comparables aux cellules souches classiques. Elles possèdent en tout cas des capacités similaires.
Pour rappel, les cellules souches sont en mesure de s’auto-renouveler toute la vie : en se divisant, elles donnent naissance à deux cellules « filles », identiques à la cellule « mère ». Elles peuvent, en outre, se différencier, et donc générer d’autres cellules spécifiques. Les cellules souches sont ainsi à l’origine du développement de toutes les cellules in utero. Chez l’adulte, on les retrouve stockées dans les tissus et organes, en vue de se différencier en cellules spécialisées quand cela sera nécessaire.
De la même façon, les CSC sont capables de s’auto-renouveler et d’engendrer différents types de cellules tumorales. « Les CSC apparaissent donc comme des cellules initiatrices, c’est à partir d’elles que les tumeurs primaires se formeront », indique la responsable du projet, Francesca Rapino.
« Et étant donné leur rôle de catalyseur dans le développement des tumeurs, il est très intéressant de les détecter pour diagnostiquer au plus tôt les cancers. Comme on le sait, plus un cancer est découvert et soigné de manière précoce, plus les chances de guérison seront élevées pour le patient. En théorie, toutes les tumeurs hébergent des CSC. Toutefois, celles-ci n’ont pas encore été caractérisées dans tous les cancers », signale la chercheuse.
Une des missions du projet tRNAtoGO vise donc à caractériser ces CSC. En vue de développer des outils diagnostics destinés à les repérer au plus tôt.
Sur la piste des cellules du cancer du côlon
Pour se faire, Francesca Rapino et son équipe vont comparer les caractéristiques des cellules souches normales, par rapport à des cellules souches cancéreuses.
« Nous allons travailler sur des cellules intestinales, en faisant des expérimentations in vivo et in vitro. Dans ces modèles, nous activerons des mutations au sein de certaines cellules souches saines. Le but sera de déterminer les transitions biologiques nécessaires pour qu’une cellule souche se transforme en cancéreuse. Et donc découvrir quels acteurs parmi les ARNs de transfert, les ribosomes, les enzymes et autres, changeront lors de cette transformation », développe la Dre Rapino
La seconde partie du projet consistera à « identifier la signature de cette transformation spécifique dans le cas du cancer colorectal. À terme, nous espérons tester la même approche sur d’autres types de cancers ».
La nécessité de tuer le mal à la racine
Une meilleure compréhension de ces unités biologiques permettra, in fine, de développer de nouveaux traitements plus efficaces. Les CSC sont, en effet, capables de résister à la plupart des thérapies actuelles, jouant ainsi un rôle dans les récidives. « Nous ignorons encore comment elles y parviennent », relève la Dre Rapino. « Or, si les traitements n’aboutissent pas à l’élimination de l’ensemble des CSC, y compris celles qui sont en repos, ces dernières seront libres d’initier le développement d’une ou de plusieurs nouvelles tumeurs des mois ou des années plus tard ».
En réalité, les CSC résistent à la majorité des soins sauf, peut-être, à la chirurgie : « L’éradication totale de la tumeur (y compris des CSC) est bien possible en cas d’ablation. Le patient est dans ce cas réellement « tumor-free ». Mais tous les cancers ne sont pas traitables de cette manière… Le défi est donc de trouver des solutions pour détruire spécifiquement ces CSC. L’un des objectifs de notre projet sera d’ailleurs d’imaginer des stratégies thérapeutiques capables d’en venir à bout. »
L’immunothérapie, qui consiste à « booster » les cellules immunitaires du patient afin qu’elles éliminent elles-mêmes les cellules cancéreuses, suscite aujourd’hui de nombreux espoirs. « Dans la théorie, ce traitement pourrait aider le système immunitaire à reconnaître et à détruire ces CSC. Il représente en tout cas une piste intéressante », conclut la chercheuse.