Novembre 1516. Charles 1er roi d’Espagne, le futur Charles Quint, confie à Francisque et Jean-Baptiste de Tassis la direction et le monopole des Postes. C’est ce qu’on appelle la Magna Carta, la grande charte des Postes pour nos régions. Pendant plus de trois cents ans, les Tassis vont organiser et dominer la circulation du courrier en Europe. Et Bruxelles en sera le centre névralgique.
Le courrier a une histoire
Il n’a pas fallu attendre 1516 pour que le courrier existe et qu’il circule. Dès Sumer et l’invention de l’écriture, il existe des tablettes d’argile reprenant des ordres ou des inventaires de biens. Inclus parfois dans une sorte d’enveloppe sur laquelle est indiqué un destinataire, ces écrits sont envoyés aux confins des royaumes.
A l’époque romaine, le réseau routier permet la circulation des hommes comme du courrier. C’est lent, mais cela fonctionne. : 26 jours pour une lettre de César, alors en Bretagne à Cicéron, résidant à Rome.
Après la fin de l’empire, le réseau routier n’est plus entretenu. C’est le déclin. En outre, les besoins de courrier de longue distance sont moins grands. Les territoires sont moins étendus. Sauf à certains moments ou pour certaines organisations. La recréation d’un Empire sous Charlemagne donne naissance aux « missi dominici ». Ces messagers de l’empereur transmettent les volontés de celui-ci sur tout le territoire impérial.
La Papauté et les monastères profitent des voyages des prêtres et des moines pour faire parvenir des messages aux Eglises ou aux abbayes de leur ordre. Certains métiers aussi ont leur système de messagerie, comme la corporation des bouchers dont les émissaires transportent à la fois du courrier et de l’argent. Mais rien n’est vraiment systématique. En 1516, tout cela va changer, nous précise Vincent Schouberechts, spécialiste de l’histoire des liaisons postales.
A l’ombre du monopole
Le 12 novembre 1516, Charles 1er, roi d’Espagne confère à une famille d’origine italienne, les Tassis (devenus de la Tour et Tassis par la suite), le monopole de la poste internationale. Ils sont les seuls à pouvoir faire circuler des lettres et des colis sur le plan international. Le texte les autorise aussi à transporter des personnes. En contrepartie, le souverain leur demande de créer à leurs frais de nouvelles routes postales entre les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie. A l’époque le futur Charles Quint est à la fois souverain des Pays-Bas et roi d’Espagne. Il lui est donc nécessaire de faire connaître ses injonctions sur tout le territoire qui dépend de lui. Un territoire qui s’agrandira encore au cours de la première moitié du XVIe siècle.
Cette cession va donner un coup de fouet à la circulation postale. Forts de leur monopole, les Tassis vont se lancer dans la mise en place de voies postales jalonnées de relais qui bientôt vont couvrir une grande partie de l’Europe.
Les Tassis font de Bruxelles Bruxelles le centre névralgique de toute leur entreprise
Le souverain espagnol n’a pas choisi par hasard les Tassis. Dès le 13e siècle, la famille, originaire de Cornello dei Tasso, une localité proche de Bergame, s’était investie dans le trafic postal. L’un de ses membres avait été chargé par l’empereur Maximilien 1er d’organiser une liaison postale entre Innsbruck, où il résidait, et Malines où se trouvaient ses enfants : Philippe (le Beau) et Marguerite (d’Autriche). En 1501, il avait d’ailleurs été nommé maître des postes par Philippe le Beau.
D’abord installés à Malines, les Tassis vont déménager à Bruxelles et faire de cette ville le centre névralgique de toute leur entreprise.
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, ils vont régner sur la Poste en Europe. Certains vont leur disputer ce monopole, mais à chaque fois, ou presque, ils parviendront à faire reconnaître leurs droits.
Ce monopole sur le courrier international va leur demander de conclure un peu partout des alliances. Alliances matrimoniales avec de nombreuses grandes familles en Europe, mais aussi conclusion de traités avec d’autres opérateurs de la poste, dans d’autres pays.
Dès 1516, ils négocient, par exemple, avec le tout nouveau maître des postes anglais, Brian Tuke. Ils décident ensemble d’échanger des courriers. A cet effet des bureaux d’échange sont choisis. La répartition des bénéfices en fonction des routes empruntées est déterminée. A la même époque, ils doivent obtenir du roi de France l’autorisation de traverser son territoire. Une traversée indispensable pour acheminer rapidement du courrier des Pays-Bas vers l’Espagne. En 1518, c’est chose faite. Les deux parties y ont un avantage. Les Tassis parce que cela permet la circulation du courrier qui leur est confié. François 1er parce qu’il va pouvoir utiliser les relais qui seront créés par les maîtres de Poste de Bruxelles.
Pas de route postale sans relais de poste
Le but du transport du courrier a toujours été le même : aller vite. Pendant des siècles, le cheval est le meilleur moyen pour y arriver. Mais un cheval cela doit se reposer, être nourri, pansé. Les relais de poste sont là pour fournir ce service.
Le maître de Poste est à la tête de ces relais. C’est un aubergiste ou un gros fermier, propriétaire d’un établissement suffisamment grand pour loger à la fois des voyageurs, du personnel et des chevaux.
Il reçoit ses instructions des Tassis auxquels il loue ses chevaux. Sous ses ordres, un ou plusieurs postillons. Ceux-ci conduisent les chevaux jusqu’au relais suivant puis les ramènent.
La multiplication des relais, sous la conduite des Tassis, va permettre un acheminement de plus en plus rapide du courrier. Selon Vincent Schouberechts, une lettre de Madrid à Bruxelles devait mettre 4 à 5 jours selon la saison. Mais il s’agit là d’un courrier express, porté par un postillon qui change de cheval à chaque relais. Des courriers qui pouvaient coûter des sommes astronomiques.
Une poste tarifée
Pour les courriers normaux, qui accompagnaient le plus souvent le transport de personnes, les délais sont sensiblement plus longs. Ils restaient malgré tout très chers et étaient réservés à une petite élite de souverains, de marchands ou de riches membres de l’aristocratie.
A l’époque, c’est le destinataire qui paye le courrier. Il faudra attendre l’invention du timbre (cf. l’interview ci-dessous) pour que les coûts soient payés par l’expéditeur.
Les tarifs publiés sont nombreux. Le plus ancien conservé pour les Tassis date de 1613. Ces tarifs montrent outre le coût élevé du courrier sa variabilité en fonction des routes empruntées et des pays traversés. Le courrier international suppose en effet plusieurs intermédiaires postaux. En Autriche, les Tassis devaient s’arranger avec les Von Paar, en Suisse avec les Fischer, responsables des postes dans chacun de ces pays. Et avec chacun de ces partenaires, un prix était fixé.
La fin des relais
Le besoin d’aller vite avait provoqué la naissance des relais de poste. Le développement du chemin de fer va signer leur déclin puis leur fin. Les derniers relais disparaissent vers 1850. En même temps la réforme postale universelle, l’invention du timbre vont donner un développement inégalé au trafic postal. Et les Etats-nations en formation au XIXe siècle veulent en profiter. Petit à petit, chaque pays récupère le monopole postal. C’est la fin de la poste d’Ancien régime, la fin de l’activité postale des Tassis.
Naît alors la poste moderne, elle aussi pendant longtemps un monopole. Mais aux mains des états. Une poste aujourd’hui libéralisée et concurrencée par les nouveaux moyens de communication électroniques. Mais cela c’est une autre histoire.
La réforme postale et le timbre
Le premier timbre, le Black Penny de 1840, est contemporain de la réforme qui va donner naissance à la poste moderne. Une réforme qui va permettre une véritable démocratisation du courrier.
Ecoutez Vincent Schouberechts préciser en quoi l’avènement du Black penny est important.