Le sommeil, allié des apprentissages

26 décembre 2019
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Série (1/2) : Comptons les moutons 

Pourquoi passons-nous un tiers de notre vie à dormir? La question en taraude plus d’un. Elle était au centre du colloque « Sommeil, rythmes biologiques, cognition, apprentissage et développement » organisé à l’Académie royale de Belgique, par le Pr Philippe Peigneux, de l’Unité de recherche en Neuropsychologie et Neuroimagerie fonctionnelle (UR2NF), à l’Université libre de Bruxelles.

« Si, d’un point de vue comportemental, le sommeil va de pair avec une rupture d’activités, pour le cerveau, c’est loin d’être le cas », relève la Dre Charline Urbain, de l’UR2NF et de la Faculté des Sciences psychologiques et de l’Éducation (ULB). « Le sommeil sert à préserver l’énergie, à favoriser la sécrétion d’hormones de croissance. Il aide à la maturation du cerveau et joue un rôle dans la consolidation des apprentissages et le développement cognitif. Pour le cerveau, le sommeil est un état neurophysiologique complexe et une période d’activité neuronale intense », dit-elle.

Quatre à six cycles par nuit chez l’enfant

Pour décrire le sommeil, la chercheuse prend le train comme métaphore. « Tel le train qui passe, le sommeil comporte des wagons, dénotant différents stades du sommeil ».

« Au cours de la nuit , nous passons cycliquement d’une phase de sommeil lent à une phase de sommeil paradoxal. Ce cycle dure de 90 à 120 minutes. Il se répète environ quatre fois par nuit chez l’adulte et de 4 à 6 fois chez l’enfant».

C’est le sommeil lent qui intéresse la scientifique. Cette phase se décompose elle-même en trois périodes distinctes : un stade d’endormissement, un stade de sommeil lent léger et un stade de sommeil lent profond.

Cette dernière phase est aussi celle d’un sommeil à ondes lentes. « On constate, dans cette phase, une diminution de la fréquence des oscillations cérébrales et une augmentation de leur amplitude », précise-t-elle.  « On parle ici d’ondes allant de 0,5 à 2 Hertz. Pendant cette période, la synchronisation cérébrale s’opère entre les nombreuses zones du cerveau ».

« Chez l’enfant, on observe un développement parallèle du sommeil lent profond, de la maturation corticale et du développement des habiletés cognitives», indique la chercheuse, qui relate des études suisses sur le sujet. À Bruxelles, son laboratoire travaille sur la consolidation des apprentissages.

La sieste: un atout

Après une bonne nuit de sommeil, on assiste à une amélioration ou à une stabilisation des performances cognitives.  « Cela concerne surtout les apprentissages déclaratifs, explicites, facilement verbalisables, ceux pour lesquels on a conscience de réaliser un apprentissage », dit la Dre Urbain.

« À l’ULB, nous menons notamment des études concernant l’impact du sommeil sur les processus cérébraux qui sous-tendent les apprentissages chez l’enfant », indique encore la scientifique. « Nous travaillons, par exemple, sur un groupe d’enfants âgés de 8 à 11 ans, et nous intéressons aux effets de la sieste sur leurs apprentissages ».

La plasticité cérébrale comme alliée

Comment le sommeil participe-t-il à cette « consolidation » des apprentissages? Via le phénomène de plasticité cérébrale. « Les oscillations lentes du sommeil profond ont le pouvoir de réactiver les informations acquises récemment et stockées dans la région de l’hippocampe du cerveau pour les faire passer vers les aires néocorticales. Et ainsi d’acquérir une mémorisation à plus long terme », précise-t-elle.

Cela avait déjà été testé par de nombreuses études chez des adultes. Les recherches de Charline Urbain confirment cela chez l’enfant, en montrant que l’effet du sommeil semble même être accéléré chez l’enfant.

« Cette étude suggère qu’une sieste (de 90 minutes), effectuée après un apprentissage, est suffisante chez l’enfant pour influencer les processus de plasticité cérébrale permettant la réorganisation des informations entre la région de l’hippocampe et le cortex frontal (siège de la mémoire à long terme). Cela avait déjà été observé en 2006 chez l’adulte après plusieurs jours voire plusieurs semaines. Des dernières recherches ont montré que cette consolidation serait plus rapide chez l’enfant. Pourquoi? Notre hypothèse est que, pour une même durée de sommeil, la plus grande proportion de sommeil à ondes lentes chez l’enfant par rapport à l’adulte pourrait accélérer le phénomène de consolidation des apprentissages ».

« On observe aussi, à contrario, une corrélation entre les troubles d’apprentissage et un sommeil atypique. Ce qui concerne par exemple des enfants souffrant de troubles de l’attention/hyperactivité (TDHA), d’épilepsie, d’autisme… »

« Nous parlons bien ici de simples constats. Pas de l’établissement d’un lien de cause à effet », précise encore Charline Urbain. S’agit-il d’un épiphénomène? Un sommeil perturbé peut-il entraîner des troubles cognitifs? À moins que la relation fonctionne dans l’autre sens? La question reste ouverte au sein de la communauté scientifique.

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