Les étangs de Bruxelles rejettent autant de gaz à effet de serre (GES) que n’en absorbent les puits de carbone des espaces verts de la ville! Ce résultat étonnant provient d’une étude réalisée par Thomas Bauduin, doctorant au sein de la Freshwater and OCeanic science Unit of reSearch (FOCUS) et du Laboratoire des Systèmes Aquatiques, Alberto Borges, professeur à l’Université de Liège et directeur de recherche au FNRS, et Nathalie Gypens, professeure à l’Université Libre de Bruxelles. Ces chercheurs travaillent de concert pour mieux appréhender et quantifier les mécanismes en œuvre concernant les émissions de GES liées aux étangs et lacs urbains.
Trois gaz étudiés, une première pour une grande ville
L’une des particularités de cette étude et que celle-ci s’intéresse aux trois principaux gaz à effet de serre qui contribuent majoritairement au réchauffement climatique: le méthane (CH4), le dioxyde de carbone (CO2), et le protoxyde d’azote (N2O). Si des observations similaires dans les étangs urbains avaient déjà été réalisées auparavant, celles-ci ne concernaient cependant que des villes plus petites en Suède et au Danemark. A noter qu’une étude a bien été réalisée à Berlin, mais celle-ci ne concernait que les émissions de méthane.
Pour réaliser leur étude, les chercheurs belges se sont focalisés sur 22 étangs situés à Bruxelles, en prenant en compte la description donnée par Bruxelles Environnement afin d’avoir un échantillon représentatif en matière d’eutrophisation, de taille et d’usage.
Les prélèvements ont, quant à eux, été étalés sur quatre saisons : « On sait que les émissions de GES changent saisonnièrement en fonction de la température et de l’activité biologique », précise Pr Alberto Borges. Une fois les échantillons prélevés, ceux-ci ont été analysés en tenant compte de la taille des systèmes étudiés et de leur proximité avec le centre-ville ou la périphérie (et donc la forêt de Soignes). Enfin, les estimations d’émission de GES ont été extrapolées aux 158 étangs que compte la capitale européenne.
Étangs naturels ou urbains, une différence d’apport
Tous les étangs et lacs, qu’ils soient artificiels ou non, rejettent des GES, principalement du fait de l’activité microbienne. Processus naturel et sans danger, ces émissions ne sont d’ailleurs pas un indicateur fiable pour évaluer la santé d’un étang précise Alberto Borges.
Les trois gaz étudiés (CO2, CH4 et N2O) sont le fruit de processus différents, influencés par leur environnement. Pour le CO2, l’accumulation du gaz est le résultat de la balance entre la photosynthèse (qui incorpore le CO2) et la respiration des organismes présents dans l’étang (qui en rejettent).
Concernant le méthane, il est le produit de la croissance de micro-organismes, les archées méthanogènes. Mais peut être utilisé à son tour comme source d’énergie par d’autres organismes, les bactéries méthanotrophes. A nouveau, c’est la balance des deux processus qui est importante.
La concentration en ces deux gaz augmente en fonction de l’apport en matière organique des plans d’eau dans lesquels vivent les micro-organismes.
Enfin, le processus de production du N2O est le résultat de deux processus, la nitrification et la dénitrification. « C’est un cycle un peu plus compliqué que pour les 2 autres GES. Plus il a d’azote disponible pour l’activité microbienne (de l’azote dit réduit) plus la production de N2O sera importante. Donc plus un étang reçoit d’azote, plus il va émettre de N2O. C’est ce que l’on a observé à Bruxelles. Les étangs plus proches du centre-ville reçoivent davantage de dépôts atmosphériques de dioxyde d’azote et émettent plus de N2O. On a montré cela en recoupant avec les données de science participative CurieuzenAir » détaille le professeur.
Le rôle du béton
Mais ces processus naturels dépendent aussi de l’environnement dans lequel ces étangs se situent. « Une différence importante avec les étangs naturels, c’est que l’environnement urbain qui les entoure est imperméable. Ce sont souvent des zones bétonnées. Ce qui veut dire que les eaux de pluie vont ruisseler en surface directement dans les étangs », rappelle Pr Alberto Borges.
À l’inverse, concernant les étangs naturels, la pluie va d’abord s’infiltrer dans le sol pour ensuite s’écouler vers l’étang via les eaux souterraines ou les rivières. Cette différence est importante, car les sols vont donc moduler les apports de carbone et d’azote que vont recevoir les étangs. Et ainsi faire varier la production de GES.
De l’importance de prendre en compte ces émissions
Bien que cette étude fasse la lumière sur le phénomène relativement méconnu et peu documenté que sont les rejets de GES par les lacs urbains, il serait démesuré de prendre des mesures selon Alberto Borges, tant ces émissions sont minimes par rapport aux rejets totaux de GES de la ville (environ 0,04 %).
Le scientifique s’amuse d’ailleurs en calculant que celles-ci pourraient être représentées comme 250 véhicules SUVs faisant le tour du Ring de Bruxelles chaque jour. Soit une goutte d’eau en comparaison des quelque 400.000 à 500.000 voitures (chiffres estimés par rapport au nombre de véhicules enregistrés à Bruxelles et aux chiffres des navetteurs) qui roulent chaque jour à Bruxelles.
Cette étude permet surtout, comme le conclut Pr Alberto Borges, de comprendre de manière intégrée quels sont les processus qui contrôlent les émissions de GES dans les lacs et les étangs (qu’ils soient urbains ou naturels). Un impératif contemporain quand le calcul des émissions de mondiales de GES n’a jamais été aussi crucial. « Si on veut estimer à grande échelle, donc à l’échelle d’un pays ou à l’échelle d’un continent, les sources et les puits de gaz à effet de serre, on doit tenir compte de ce qu’il se passe dans les sols, dans la végétation. Ainsi que de ce qui se passe dans les rivières et les lacs. »