Element central du retable de saint Georges, avec l'équipe qui l'a restauré © KIK-IRPA Brussels

Les mystères résolus du retable de saint Georges

27 mai 2021
par Daily Science
Temps de lecture : 7 minutes

Après trois années de recherche et de restauration, le célèbre retable de saint Georges (1493) de Jan II Borman resplendit à nouveau au Musée Art & Histoire (MRAH). L’étude interdisciplinaire, menée en collaboration avec l’Institut royal du Patrimoine artistique (IRPA), a conduit à des découvertes inattendues et a permis d’élucider des mystères séculaires.

3D sans lunettes

Le retable de saint Georges, mesurant pas moins de 5 mètres de large et 1,60 mètre de haut, avec plus de 80 figures minutieusement détaillées, est l’un des plus beaux ensembles sculptés en bois de l’histoire occidentale. Il s’agit du chef-d’œuvre de Jan II Borman, le maître incontestable de la dynastie éponyme d’artistes bruxellois, décrit de son vivant comme « le meilleur sculpteur de son temps ». Le maître a signé et daté cette œuvre en 1493.

Les scènes du gothique tardif sont sans conteste intemporelles et d’une qualité tout à fait exceptionnelle. Elles surprennent le spectateur par leurs compositions cinématographiques, leurs personnages réalistes d’une grande expressivité et la virtuosité inégalée de la sculpture. Comme dans un arrêt sur image, les personnages sont représentés en pleine action. En sept scènes, Borman donne vie à l’atroce martyre de saint Georges. En raison de sa foi, le héros inébranlable est suspendu par les pieds au-dessus des flammes, éviscéré, décapité.

Scène de décapitation © KIK-IRPA Brussels – Cliquez pour agrandir

Mutualisation des savoirs

L’exposition Borman et Fils. Les Meilleurs Sculpteurs au musée M de Louvain a été, pour Emile van Binnebeke, conservateur de la sculpture européenne aux MRAH, l’occasion idéale d’examiner en détail le chef-d’œuvre de la dynastie des Borman. Il s’est alors associé à Emmanuelle Mercier, experte en sculpture sur bois à l’IRPA, et ses collègues des laboratoires. La recherche a été menée conjointement à la restauration du retable.

Seule œuvre signée par Jan II Borman, dont même une copie du document de commande a été conservée, le retable de saint Georges est la clé pour comprendre tout son génie créatif.

Par ailleurs, le retable a toujours été entouré de mystères. Était-il à l’origine polychromé comme les autres retables flamands ? Dans quel contexte a-t-il été créé ? Et comment expliquer l’ordre incohérent des scènes qui ne correspond pas à la légende et commence étonnamment par la mort du saint ?

Scène de torture © KIK-IRPA Brussels – Cliquez pour agrandir

Secrets et ordre

Pour examiner le retable sous tous ses angles et le nettoyer en profondeur, les 48 éléments en bois composant les scènes ont été soigneusement démontés. À côté de divers fragments de bois qui s’étaient détachés au fil des ans, comme des doigts, des boucles d’oreilles et des détails architecturaux, Emmanuelle Mercier et son équipe ont découvert, cachés sous les scènes, une petite figure en prière sculptée.

L’analyse au radiocarbone révèle que le bois date de l’époque du retable. Borman a peut-être caché cet ex-voto en guise de prière ou de remerciement.

En démontant la scène centrale, les restaurateurs de l’IRPA ont également trouvé un morceau de parchemin de leur prédécesseur, un certain Sohest, qui y indique avoir restauré le retable en 1835.

L’ordre illogique des scènes a finalement pu être expliqué en étudiant les emplacements des chevilles et des clous originaux utilisés pour fixer les scènes dans la caisse. Ceux-ci montrent clairement que Sohest a démonté, puis replacé les scènes dans un autre ordre pour une raison encore inconnue. Au cours de la restauration actuelle, le sens du récit établi par Jan II Borman a finalement été restitué.

Parchemin caché dans le retable, datant de 1835 et signé par Sohest © KIK-IRPA Brussels – Cliquez pour agrandir

Un regard sur le XIXe siècle

Lorsque le conservateur Emile van Binnebeke (MRAH) a appris l’existence du parchemin de Sohest, toutes les pièces du puzzle se sont enfin mises en place. « Sur un autre retable de notre collection, celui de Wannabecq (1530), j’avais déjà remarqué la même peinture bleu-gris appliquée à l’arrière des fenestrages du retable de saint Georges. J’ai pu établir un lien avec un document de 1843 dans lequel un certain Sohest demande le paiement pour ses travaux de restauration du retable de Wannabecq. La présence du parchemin dans le retable de saint Georges confirme qu’il s’agit bien du même restaurateur. »

La découverte du parchemin, daté de 1835, est également surprenante, car on pensait que le retable de saint Georges n’était entré officiellement dans le musée du Cinquantenaire qu’en 1848. Lors du démontage, la signature de Sohest et la date de 1832 ont également été trouvées sur quatre statuettes d’anges refaites.

« Cela nous donne non seulement une idée de la durée de son intervention, mais nous apprenons également qu’on a investi dans la restauration du retable dès le début des années 1830, juste après la lutte pour l’indépendance de la Belgique. Cela jette un nouvel éclairage sur l’ambition naissante de créer un musée national », poursuit Emile van Binnebeke.

Figurine cachée dans le retable © KIK-IRPA Brussels – Cliquez pour agrandir

Un travail d’orfèvre

« Une observation attentive, complétée par des analyses en laboratoire, a révélé que contrairement à la tradition, le retable n’a jamais été recouvert de polychromie », explique Emmanuelle Mercier, experte en sculpture sur bois (IRPA).

« Ceci peut expliquer le travail du bois d’une finesse remarquable, notamment dans les détails minutieux des riches costumes, qui seraient perdus même sous la plus fine couche de peinture. Jan II Borman nous a également étonnés par sa capacité à réaliser des compositions complexes comportant plusieurs personnages à partir d’un seul bloc de bois et sans le moindre assemblage. Les analyses dendrochronologiques ont montré que le sculpteur a utilisé un chêne régional plutôt dur à travailler. Autant de preuves d’un talent exceptionnel », continue-t-elle.

Les restaurateurs ont enlevé la poussière et la saleté des innombrables reliefs, recollé les morceaux de bois tombés dans la caisse au fil des ans, consolidé les zones fragilisées par les vers du bois. Ils ont également homogénéisé et allégé les différentes patines colorées qui avaient été appliquées depuis le XIXe siècle, dont une cire qui avait noirci tous les visages. La plasticité des reliefs associée à la minutie des détails est ainsi mieux mise en valeur.

Scène de flagellation © KIK-IRPA Brussels – Cliquez pour agrandir

Intrigues politiques

Les recherches dans les archives et en histoire de l’art permettent à leur tour d’avoir une meilleure compréhension du retable de saint Georges. Le conservateur Emile van Binnebeke interprète la commande du retable par la Grande Guilde des Arbalétriers de Louvain pour sa chapelle comme une manœuvre politique du plus haut niveau.

Ainsi, pour s’attirer les faveurs de Maximilien d’Autriche, vainqueur de la révolte des villes brabançonnes et flamandes, la Grande Guilde commande délibérément un retable de saint Georges à Jan II Borman. À ce dernier, car il était très apprécié à la cour et membre de la chambre de rhétorique bruxelloise Le Lys, placée sous la protection de Maximilien. Et un retable de saint Georges précisément, parce que l’archiduc l’avait choisi comme patron personnel et utilisait sa vénération même à des fins de propagande.

« La Grande Guilde a peut-être réussi son pari : bien que ne s’étant pas rangée du côté de Maximilien durant la révolte, elle n’a pas subi de répercussion. Cette victoire a dû être douce-amère. En effet, la ville de Louvain a fait faillite à cause de la révolte et le trésor de la Grande Guilde était presque vide. Ainsi, après le paiement de Borman, il n’y aurait plus eu assez d’argent pour polychromer le retable », conclut-il.

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