Julie Manon en train d'évaluer les réductions de fractures effectuées par ses co-équipiers © J. Manon

L’autonomie médicale des astronautes, un enjeu important pour les futures missions habitées

27 juin 2023
par Camille Stassart
Temps de lecture : 6 minutes

Un des grands obstacles aux missions spatiales habitées vers Mars est l’effet de l’impesanteur sur notre squelette. En effet, lors de longs séjours en microgravité, les os subissent une perte de masse osseuse importante, le corps n’étant plus soumis aux contraintes mécaniques de la pesanteur. Un phénomène déjà constaté chez les astronautes en mission pendant plusieurs mois à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Or, un voyage vers Mars prendrait entre 6 et 9 mois.
Plus fragiles, ces os déminéralisés présentent un risque plus élevé de fractures une fois de retour dans un milieu gravitationnel. Dans le cas des astronautes de l’ISS, ceux-ci sont directement accueillis par une équipe médicale à leur retour du Terre pour parer et traiter tout problème éventuel. Une prise en charge qui sera évidemment impossible dans le cas d’un atterrissage sur Mars.

Julie Manon, aspirante FNRS au Neuro Musculo Skeletal Lab de l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain et assistante en chirurgie orthopédique, s’intéresse ainsi aux dispositifs et aux protocoles qui permettraient aux astronautes de traiter eux-mêmes des fractures, sans l’aide de chirurgiens.

Exemple de jambe artificielle utilisée lors de l’expérience © Julie Manon

Une perte osseuse inévitable

Si des solutions sont à l’étude, comme des vaisseaux spatiaux simulant une gravité artificielle, il est pour le moment impossible d’éviter la perte osseuse lors d’un long séjour dans l’espace. « A bord de l’ISS, des actions sont mises en place pour limiter la déminéralisation osseuse chez les astronautes. Ils disposent, notamment, de différents appareils sportifs », rappelle Julie Manon. « Mais cette activité physique ne prévient pas totalement la survenue du phénomène. Aussi, la perte de minéralisation osseuse après un mois à bord de l’ISS équivaut à celle que perd une femme post-ménopausée au bout d’une année sur Terre ! ».

Dans la perspective de missions habitées vers la planète rouge, il sera donc impératif de préparer les astronautes à traiter de manière automne les fractures qui pourraient survenir sur le sol martien. D’autant que les communications radios seraient soumises à un délai de transmission (parfois de plus de vingt minutes dans chaque sens), rendant impossible l’assistance à distance en cas d’urgence.

« En 2022, lors de la mission « Mars UCLouvain », une simulation de mission sur Mars de deux semaines à la station Mars Desert Research Station, dans le désert de l’Utah (Etats-Unis), j’ai eu l’occasion de mener un projet sur cette problématique », indique la doctorante.

Démonstration de Julie Manon de la chirurgie à la Mars Desert Research Station lors de la mission Mars UCLouvain 2022 © Julie Manon
Réduction de fracure lors d’une sortie extravéhiculaire lors de la mission Mars UCLouvain 2022 © J. Manon

Réduire chirurgicalement une fracture dans des conditions extrêmes

La chercheuse a tenté de savoir s’il était possible de former des astronautes (rôles endossés ici par des scientifiques de l’UCLouvain), ne disposant d’aucune compétence chirurgicale, à réduire efficacement et en urgence une fracture à l’aide de fixateurs externes, un dispositif classiquement employé en chirurgie orthopédique.

« Concrètement, je leur ai donné un cours théorique d’1h30 revenant sur les risques que présente cette chirurgie, les choses à faire et à ne pas faire. J’ai, ensuite, fait une démonstration pratique. Les fixateurs utilisés dans ce projet ont été développés lors d’une autre thèse menée à l’Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCLouvain. Ils ont la particularité d’être facilement reproductibles, à faible coût et, surtout, facilement utilisables.»

« L’équipe s’est entraînée lors de 4 séances à mettre en place ces fixateurs sur des jambes artificielles qui présentaient différentes fractures du tibia.»

Résultats ? Les membres de l’équipage ont présenté une belle courbe d’apprentissage et parvenaient à traiter correctement ces fractures au terme de la mission. « Dans la réalisation du geste, l’apprentissage a été particulièrement rapide et efficace.» Ces résultats montrent qu’il est possible de développer des compétences et aptitudes chirurgicales, même sans aucune connaissance sur le sujet.

« In fine, on pourrait développer un kit avec un mode d’emploi, à l’image des kits de défibrillateur cardiaque, permettant à n’importe qui d’utiliser ces fixateurs pour traiter des fractures dans des situations extrêmes (zones de conflits, catastrophes naturelles…) ou, plus largement, dans des pays en voie de développement.»

Partie de l’équipe de Mars UCLouvain 2022 © J. Manon
Julie Manon lors de la mission Mars UCLouvain 2022 © J. Manon

Les fractures dans l’espace, des fractures compliquées ?

Julie Manon cherche désormais à déterminer si les fractures osseuses en microgravité, c’est-à-dire au sein même d’un vaisseau ou d’une station spatiale, pourrait conduire à des fractures complexes (absence de contact osseux, présence de plusieurs fragments, sortie de l’os de la chair…), et donc plus difficilement traitables.

« Sur Terre, les patients aux os déminéralisés, ou au statut ostéoporotique important, souffrent souvent de fractures plus complexes, alors même que le traumatisme subi est de faible énergie. On se demande si ça pourrait aussi être le cas dans l’espace. »

Pour ce faire, la doctorante mène actuellement des expériences lors de vols paraboliques permettant d’atteindre l’état d’impesanteur pendant quelques secondes. « En avril 2023, des tests préliminaires ont été menés en vue de réaliser une expérience en août ou septembre. Elle consistera à fracturer des os présentant différents statuts ostéoporotiques à l’aide d’une machine. Cinq seront brisés sur Terre, et cinq lors des vols. L’idée sera ensuite de les comparer.»

Au printemps 2024, un vol suborbital pourrait également être programmé, permettant à la chercheuse de tester l’effet de l’impesanteur sur les fractures pendant plusieurs minutes.

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