Justine Bellier, chercheuse post-doctorale au MGH, l'hôpital rattaché à la Harvard Medical School © Justine Bellier

La résistance aux thérapies ciblées, un défi pour traiter le cancer du poumon

27 août 2021
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 4 minutes

Série (3/6) : “Chercheurs du bout du monde”

Depuis les années 2000, les thérapies ciblées se sont fortement développées. Capables de bloquer la croissance et la propagation du cancer, elles sont des outils médicamenteux précieux. Mais face à cette artillerie nouvelle, le crabe n’a pas dit son dernier mot : chez de nombreux patients, se développent, au cours même de la thérapie ciblée, des résistances moléculaires. A Harvard, la Dre Justine Bellier, diplômée de l’ULiège en 2019, se concentre sur les mécanismes responsables de cette résistance chez des patients atteints d’un cancer du poumon. Un défi clinique majeur.

Une mutation activatrice

« Pour certains sous-ensembles de cancers du poumon, tels que ceux présentant des mutations de la protéine EGFR, des thérapies ciblées efficaces ont remplacé la chimiothérapie comme traitement standard. Malheureusement, même si la thérapie ciblée induit une réponse positive pendant quelques mois, une résistance à la thérapie se développe dans la majorité des cas, ce qui entraîne une rechute de la maladie. C’est ce que l’on appelle la résistance acquise à la thérapie ciblée », explique la chercheuse.

La protéine EGFR est présente à la surface de toutes les cellules. Quand elle est activée par un facteur de croissance, son rôle est d’indiquer à la cellule qu’elle peut proliférer. Mais dans les cellules cancéreuses où la protéine EGFR est mutée, cette dernière échappe aux signaux de régulation des facteurs de croissance. Et indique à la cellule qu’elle peut proliférer de manière constante.

Un réservoir de cellules résistantes

Concrètement, « en collaboration avec des médecins du groupe clinique thoracique du Massachusetts General Hospital (MGH), des cellules cancéreuses du poumon sont collectées dans le liquide pleural de patients avant la thérapie ciblée et à différentes étapes de celle-ci. Cela nous permet d’étudier comment les mécanismes de la résistance acquise évoluent chez les patients pendant la thérapie. »

Des études précédemment menées au laboratoire ont montré que des cellules cancéreuses dites ‘persistantes tolérantes aux médicaments’ survivent à la thérapie ciblée. Celles-ci forment alors un réservoir au départ duquel des mécanismes de résistance peuvent évoluer. « On travaille à isoler ces cellules résistantes et à les caractériser, dans le but les éliminer. De la sorte, on pourrait espérer éradiquer les résistances acquises lors des thérapies ciblées. »

Justine Bellier © Wafa Malik

Dans la continuité de son sujet de thèse

Ce sujet de recherche fait suite à celui de sa thèse de doctorat, réalisée à l’Université de Liège, après un master en sciences biomédicales à l’UMons. C’est, en effet, sous la houlette de Dre Akeila Bellahcène, directrice de recherche FNRS, et co-directrice du laboratoire de recherche sur les métastases du Giga Cancer, que Justine Bellier a découvert les résistances aux thérapies ciblées.

« Comme carburant, les cellules cancéreuses préfèrent le glucose. Suite à cette consommation, elles produisent en quantité du méthylglyoxal, un produit toxique résidu du métabolisme du glucose, qui les aide à proliférer et à métastaser. Au cours de ma thèse, financée par le FNRS et le Télévie, on a montré que dans un sous-type de cancer du côlon, le méthylglyoxal était très présent et était responsable d’une résistance à une thérapie ciblée. A partir de là, j’ai voulu comprendre comment d’autres cellules cancéreuses devenaient résistantes à une thérapie ciblée », explique Dre Justine Bellier.

De la recherche avec une application clinique

De plus, « lors de ma thèse, on a trouvé que lorsque la carnosine, une molécule naturelle déjà utilisée en thérapeutique chez les patients diabétiques, est injectée à des souris souffrant du cancer du côlon, cela pouvait empêcher une résistance à la thérapie ciblée. Son utilité chez l’homme dans le cadre du cancer n’a pas encore été prouvée, cependant cette découverte m’a donné l’envie de mener, non pas de la recherche fondamentale, mais translationnelle, c’est-à-dire appliquée aux patients. »

Un environnement stimulant tant dans la vie privée que professionnelle

C’est ainsi que la jeune doctorante a postulé spontanément au Massachusetts General Hospital, le plus grand hôpital rattaché à la Harvard Medical School, actuellement classé comme le meilleur hôpital de recherche aux Etats-Unis. «Celui qui allait devenir mon chef m’a dit que si trouvais un financement pour venir, j’avais ma place. Alors j’ai postulé à deux bourses, celle du WBI et celle du BAEF, et les ai obtenues toutes les deux. »

Justine Bellier a débuté son post-doctorat en septembre 2020, avec un an de financement. « J’ai d’ores et déjà postulé au WBI pour obtenir un an supplémentaire. »

Car « c’est un rêve de travailler au MGH. C’est très réputé, et pour commencer un post-doctorat, il est important de se faire un bon réseau et d’apprendre des meilleurs chercheurs. Et il y en a un grand nombre ici. On y mène de la recherche de qualité, dans un environnement hyper-stimulant et motivant. Je me sens poussée vers le haut et j’ai envie de me surpasser.  »

« Je détermine moi-même mes horaires. Ce dimanche, je suis venue au labo de 9h à 19h. S’il est vrai que je travaille beaucoup, je m’offre toutefois tous les jours une pause midi face à l’océan Atlantique. Je me sens très bien ici. Boston est une ville incroyable, multiculturelle, très verte grâce à ses nombreux parcs, proche de l’océan, traversée par la rivière Charles où l’on peut faire plein d’activités. »

Cela n’empêche, « je ne sais ni où ni quand (en tout cas, pas avant 3 ou 4 ans), mais j’envisage clairement de revenir en Belgique. Et d’y consacrer ma carrière à la recherche translationnelle sur le cancer », conclut Justine Bellier.

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