Quel est le point commun entre la loche roussâtre (une limace d’Amérique du Nord) et la grenouille tomate de Madagascar ? Toutes deux utilisent un système de défense remarquable faisant intervenir une colle. Lorsqu’ils sont attaqués par un prédateur, ces animaux, pourtant très différents, se défendent en produisant un liquide très visqueux à partir de leur peau dorsale. Cette substance – une sorte de bave collante – se transforme en quelques secondes en un puissant adhésif, rendant presque impossible leur ingestion par un prédateur.
Le laboratoire de Biologie des Organismes Marins et Biomimétisme de l’UMons vient de collaborer à deux études visant à caractériser ces colles défensives si particulières. Fort de son expérience dans la caractérisation des adhésifs produits par les animaux marins, le laboratoire a contribué à ces études par son expertise dans les méthodes morphologiques appliquées aux organes adhésifs et aux colles qu’ils sécrètent.
Les résultats de ces deux études pourraient inspirer le développement de futurs adhésifs qui imitent ces sécrétions et qui pourraient être utilisés dans des applications médicales ou biotechnologiques, de manière non toxique et respectueuse de l’environnement. C’est l’essence même du biomimétisme, cette discipline qui prend la nature pour modèle afin de relever les défis du développement durable.
La peau d’une limace sous la loupe
Menée par Andrew Smith de l’Ithaca College aux Etats-Unis, la première étude porte sur la sécrétion défensive de la limace Arion subfuscus. Cette sécrétion est un gel solide et collant, renforcé par un mécanisme de double réseau. C’est-à-dire de deux réseaux enchevêtrés faits de molécules différentes.
Alors que les gels synthétiques à double réseau nécessitent généralement beaucoup de temps pour être préparés, cette limace crée un gel solide en quelques secondes de manière naturelle, à partir de sa peau.
Pour mieux comprendre comment la colle se forme si rapidement, les cellules de la peau de cette limace ont été analysées. L’objectif était de déterminer comment les principaux composants de la colle étaient distribués et mélangés.
La plus grande partie de la colle provient de deux types de glandes : l’une sécrète des polysaccharides, l’autre sécrète des protéines. L’enzyme catalase est très abondante dans ce second type de glande et interviendrait dans la réticulation (polymérisation) des protéines avant que la colle ne soit libérée. Les microgels réticulés ainsi formés s’assembleraient ensuite après la sécrétion et se mélangeraient aux polysaccharides pour constituer la colle. Il s’agit d’un moyen inattendu et très efficace de former rapidement un gel résistant.
Un moyen de défense collant
Parmi ceux-ci, la grenouille tomate de Madagascar a fait l’objet d’un projet de recherche emmené par Shabnam Zaman et Kim Roelants de la Vrije Universiteit Brussel. La colle de cette grenouille est principalement formée de deux protéines, un membre hautement dérivé d’une famille de glycoprotéines très répandue et une galectine, interagissant entre elles pour former un gel.
Les expériences réalisées à l’UMons ont permis la détection de ces molécules spécifiques dans la peau de la grenouille et dans la colle, confirmant ainsi le modèle proposé.
L’identification de protéines semblables chez d’autres amphibiens révèle que ces protéines avaient une fonction au niveau de la peau bien avant l’évolution des colles. Une augmentation importante de la production de ces protéines, associée à certaines modifications ponctuelles, a permis l’apparition indépendante des colles dans au moins deux lignées de grenouilles.
Les résultats de ces deux études illustrent l’évolution récurrente chez les animaux d’innovations fonctionnelles, ici des gels collants et solides, via le recrutement d’éléments moléculaires préexistants. En plus de fournir des informations précieuses sur la biologie des animaux, ces sécrétions adhésives animales peuvent servir de modèles pour le développement de nouvelles colles innovantes.