D’où viennent nos ancêtres ? Comment ont-ils voyagé ? Comment l’espèce humaine s’est répandue à travers les continents ? Y a-t-il eu des métissages entre différents peuples ? Autant de questions qui trouvent parfois des bribes de réponse au gré des trouvailles archéologiques, mais pas seulement. Désormais, la génétique joue un rôle essentiel dans la construction du savoir autour des premiers Homo sapiens qui ont essaimé la planète.
Une Belge à Bordeaux
Reconstruire cette histoire, est le but d’Isabelle Crèvecœur. Cette paléoanthropologue, chercheuse CNRS à l’Université de Bordeaux a participé à une large étude retraçant l’évolution des chasseurs-cueilleurs européens, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années.
Une étude internationale impliquant plus d’une centaine de chercheurs. Mais c’est pourtant bien en Belgique qu’Isabelle Crèvecœur a démarré sa carrière, et plus précisément à l’Université catholique de Louvain.
“A l’époque, mon parcours était centré sur la géologie, raconte-t-elle. Mais j’ai fait mon mémoire sur des ossements de poules sauvages, qui aident à retracer l’évolution du climat. Ce n’est que plus tard que je suis passé aux restes humains.”
Problème : aucun cursus ne convenait à ses projets en Belgique, et il a donc fallu partir en France. Elle poursuit donc ses études à Bordeaux, mais garde des liens forts avec son pays natal puisque sa thèse se fait en partenariat avec la KULeuven.
“C’est une histoire de connexions. J’avais l’étiquette “belge” et des chercheurs de Bordeaux avaient travaillé sur des fouilles au Soudan avec des préhistoriens belges. C’est ainsi que j’ai fait une co-tutelle entre les deux universités pour étudier le squelette de Nazlet Khater, un des squelettes les plus complets trouvés en Afrique autour de cette période, il y a environ 30.000 ans.”
Pendant les années qui suivent, Isabelle Crèvecœur fait la navette entre Bordeaux, Bruxelles et Louvain, cumulant une thèse à Bordeaux, un emploi au Musée royal des Sciences naturelles de Belgique pour travailler sur les collections de Spy et Goyet, sans oublier des séjours sur des sites de fouilles en France ou même en Afrique.
L’avènement de la paléogénétique
Des années durant lesquelles elle voit une transformation de son travail avec l’arrivée de la génétique, ou plutôt de la paléogénétique. Le principe global est de récupérer des séquences d’ADN sur des restes fossiles, ce qui renseigne sur le génome et donc le patrimoine génétique.
“C’est un développement récent”, se rappelle Isabelle Crèvecœur. “Il y a une quinzaine d’années, c’était impensable d’obtenir des données génétiques aussi complètes sur des ossements fossiles. Mais aujourd’hui, ça devient quelque chose d’indispensable.”
Ce type de recherche est particulièrement pratique lorsque des sites de fouilles sont très endommagés. Quand les restes sont dispersés, mal répertoriés, et victimes de découvreurs peu précautionneux, notamment les archéologues du XIXème siècle qui ne s’embarrassaient pas de la même méticulosité que ceux d’aujourd’hui.
Origines différentes
“Sur le site de Goyet, fouillé dès 1868, les restes humains étaient très fragmentaires et leur association à des niveaux archéologiques mal définis. En revanche, leur ADN était extrêmement bien préservé, ce qui a permis d’aller beaucoup plus loin.”
Ainsi, l’étude récemment publiée passe en revue les génomes de 356 chasseurs-cueilleurs, dont ceux de Spy et Goyet, ayant vécu il y a entre 35000 et 5000 ans à travers l’Europe et l’Asie Centrale.
Coopération en généticiens et archéologues
Même lorsque les contextes archéologiques ont été perdus, il a été possible de lire dans l’ADN l’histoire du peuplement européen. Une technique qui nous a appris que ces populations, pourtant très proches géographiquement, avec des outils et des armes en commun, avaient en fait des origines différentes.
“La tentation pourrait être de trop compter sur l’ADN et de ne pas laisser assez de place pour l’archéologie”, résume Isabelle Crèvecœur, “mais je crois que nous avons dépassé ces clivages.”
Aujourd’hui, les archéologues “traditionnels” collaborent volontiers avec des paléogénéticiens et les deux disciplines se lient pour retracer l’histoire de nos ancêtres.
“L’évolution est très motivante. Par contre, ce n’est pas évident, puisque nous travaillons sur des données différentes. Il faut réconcilier les approches biologiques et culturelles pour raconter plusieurs facettes d’une même histoire.”
Une telle coopération pousse à étudier les sites archéologiques avec un œil nouveau. Généralement, ce sont encore des archéologues qui dirigent les chantiers de fouilles, mais ils voient de plus en plus des paléogénéticiens se mêler à eux sur le terrain pour faire avancer les recherches.
“Même si les restes sont à première vue peu exploitables, nous arrivons désormais à mieux comprendre ces populations et leur évolution à plus long terme”, considère Isabelle Crèvecœur. “C’est parfois difficile de faire la synthèse de ces travaux, mais il y a un véritable échange.”
Si elle continue son travail à Bordeaux et ses fouilles en Afrique, notamment à Djibouti, Isabelle Crèvecœur poursuit également ses collaborations avec la Belgique, sur plusieurs sites locaux, et en partenariat avec l’Institut royal des sciences naturelles.