À tout âge, dans toutes les classes sociales, un enfant peut être abusé sexuellement. Les filles sont beaucoup plus concernées que les garçons. Dans 80% des cas, le coupable est un parent ou un familier. Il se limite rarement à une seule victime. Les psychiatres infanto-juvéniles Emmanuel de Becker et Jean-Yves Hayez publient leurs réflexions issues de leur pratique aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles. Ils s’appuient sur 5 cas dans «La pédophilie».
Le nombre d’abus sexuels est difficilement chiffrable. «Il est possible qu’une majorité des ex-victimes préfèrent se taire définitivement ou ne se confient qu’une fois arrivé l’âge adulte», pensent les auteurs. «L’agression sexuelle laisse son empreinte de façon patente ou latente. Quelques enfants semblent en sortir indemnes psychiquement. Quelques autres s’en trouvent attirés précocement par le plaisir sexuel. Mais la majorité est traumatisée sous l’une ou l’autre forme.»
Des enfants auteurs d’abus
Les interventions portent fréquemment sur des mineurs d’âge. À 5 ans, un garçon peut déculotter un autre enfant. Explorer ses orifices intimes en ignorant, ou en sachant d’intuition, que c’est mal. À 13 ans, un ado, démangé par sa puberté ou triste de ne plus occuper une place de choix dans une famille recomposée, est capable de s’en prendre à la fillette de la nouvelle compagne de son père…
«Il n’est pas certain que ces abus soient en grande croissance, comme certains médias l’affirment. Ce qui augmente certainement, c’est leur détection. Statistiquement parlant, ces abus sont moins traumatisants à long terme. La majorité des mineurs auteurs d’abus ne relèvent pas de la même structuration de personnalité que les auteurs adultes, du moins sur un mode durable. Ils sont en pleine construction identitaire. Eux-mêmes vulnérables et moins aptes au contrôle de soi. Et beaucoup ne passent à l’acte que lorsqu’ils traversent une mauvaise passe développementale. Puis, ils se reprennent et se resocialisent. Seule une minorité se rapproche de ce qui se passe chez les adultes. En ce inclus une dimension pédophile à l’œuvre très tôt.»
Les deux professeurs à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) réservent l’étiquette de «porteur d’une dimension pédophile» à la personne qui a une attirance affective principale, parfois contraignante, pour l’enfant. Le sexe qui s’y ajoute n’est vécu que comme conséquence de cet amour. Ce sont fréquemment des adultes ou de grands adolescents affectivement immatures. Dans leur passé, ils ont souvent été enlisés dans de la sensualité trouble. Un parent a excité leur sexualité. En franchissant parfois le cap de l’inceste.
Des religieux auteurs de maltraitances
Chez les religieux auteurs d’abus, une «volonté de pouvoir», combinée avec une «volonté de domination», s’observe souvent. Ils s’en prennent généralement aux garçons. Immatures affectivement, ils ne supporteraient pas l’intimité sentimentale et sexuelle avec une femme.
«Ce qui s’est passé dans l’Église catholique illustre tristement le caractère universel de la maltraitance sexuelle. En se basant sur le pourcentage d’auteurs d’abus dans la population générale, on peut estimer qu’il a atteint 1,5 à 2% de prêtres et religieuses pendant le XXe siècle. Depuis une vingtaine d’années et grâce à une prise de conscience douloureuse, davantage de vigilance et de sensibilisation des prêtres aux questions de sexualité se sont mises en place. Les papes Jean-Paul II et François se sont engagés sur le chemin de la tolérance zéro. Mais ces intentions, toutes sincères qu’elles soient, doivent être mises à l’épreuve des faits à l’avenir.»
On manque cruellement de moyens humains
On culpabilise, on menace les personnes qui ne dénoncent pas les abus sexuels. «En Belgique, tant la police que la justice manquent cruellement de moyens humains. Les experts en auditions d’enfants, trop peu nombreux, se trouvent dans les rangs de la police. Bien peu de magistrats, par contre, jouissent d’une formation criminologique adaptée. Et se trouvent de facto démunis pour se prononcer pertinemment sur les évaluations de la parole de l’enfant.»
Selon Emmanuel de Becker et Jean-Yves Hayez, les experts devraient faire preuve d’engagement personnel et de courage. Ne pas refiler la patate chaude. «Que chaque professionnel crée plutôt des liens solides, demeurant fidèle à ceux qui ont besoin de lui.”