Noël en famille, janvier aux soins intensifs ?

27 novembre 2020
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

Devons-nous fêter Noël comme d’habitude? Les scientifiques de l’UCLouvain ont un avis sur la question. Réunis jeudi virtuellement pour un échange sur ce sujet, aucun d’entre eux ne concevait les fêtes de la fin de cette année comme celles des années précédentes.

« Le virus est toujours présent. Les risques de contamination aussi », disaient-ils quasi en chœur. « Rassembler plusieurs personnes dans un même lieu, clos, pour manger, rire, chanter, discuter ensemble pendant des heures risque de générer de nouvelles contaminations. Et six jours plus tard, durée de l’incubation du virus, c’est lors du réveillon de Nouvel An que les contaminations exploseront. » Le scénario catastrophe, quoi!

La famille, source de support social

Ceci étant posé, chacun y va aussi de ses nuances. Bien sûr, les préoccupations sanitaires et la situation des hôpitaux doivent motiver nos comportements. « Il faut protéger les personnes à risques, ménager le personnel de santé mis à très rude épreuve ces derniers mois », estime Xavier Wittebolle, réanimateur au service des soins intensifs des Cliniques universitaires Saint-Luc.

« Mais pas n’importe comment », assène le philosophe Michel Dupuis. « Cette crise met à l’épreuve ce que nous vivons, nos modes de vie ». Ce qui nous amène sur le terrain de la santé mentale. « La famille est source de support social. Et il est nécessaire pour traverser cette crise », souligne le sociologue de la santé Vincent Lorant.

Son collègue, Olivier Luminet, professeur de psychologie de la santé, abonde: « une étude de l’UCLouvain démontre que les citoyens ont besoin d’un partage social. Mais elle montre aussi qu’ils veulent rester prudents. À mes yeux, il faut fêter Noël. Mais cette année, dans des conditions très particulières. Ces réunions sont la source de bien-être mental. Combien de personnes faut-il réunir? Une étude de l’université de Gand portant sur 6.000 personnes explorait divers scénarios à ce propos. Il en ressort qu’un élargissement de la bulle sociale à deux, voire quatre personnes était privilégié, plutôt qu’une ouverture sans limites. »

« Ce choix restreint permet de voir suffisamment de proches. Limiter le nombre de proches à réunir, limite aussi l’anxiété. Les gens sont anxieux. Ils craignent la contamination ou la diffusion de la maladie. Ouvrir trop le cercle, cela revient aussi à augmenter l’anxiété. Clairement, quand on interroge les gens, et qu’on met dans la balance le facteur plaisir par rapport aux risques, ce sont les risques qui sont d’abord pris en compte », dit-il. « Et avec 2 ou 4 personnes de plus dans notre bulle, nous avons largement de quoi assouvir nos besoins psychologiques. »

Des petites bulles sources potentielles de tensions familiales

Bernard Fusulier, sociologue de la famille, ne dit pas autre chose. « Les fêtes renforcent les liens familiaux », estime-t-il. « Et la famille reste la principale valeur de notre société, avant le travail par exemple. Passer les fêtes ensemble, mais en petite bulle, en mode mineur, permet de se souder pour passer l’épreuve. Mais les petites bulles, cela signifie aussi faire des choix, décider qui on voit et qui on ne voit pas. Des choix qu’on ne devait pas faire auparavant. Ce qui peut exacerber les tensions dans les familles. »

La question, finalement n’est pas tellement de savoir s’il faut fêter Noël, mais plutôt comment fêter Noël. « Place à la créativité », propose l’infectiologue Leïla Belkhir. « Pour limiter les contacts, pourquoi ne pas se voir en extérieur, sur la terrasse, au jardin, se balader? Bref, trouver des moyens pour se voir, mais en respectant la distanciation physique. »

Ce qui pose aussi la question de la messe de Noël. « Je préfère ne pas donner un avis sur les fêtes, mais me limiter à des observations », dit à ce propos l’épidémiologiste Niko Speybroeck. « La messe de Noël, c’est un rassemblement important de personnes dans un endroit fermé, où on va chanter, etc.  Ce qui augmente les risques de contamination. »

La sociologue Jacinthe Mazzocchetti propose, quant à elle, de s’inspirer des familles migrantes, qui ont appris à être ensemble… tout en étant séparées.

À moins de faire tout simplement l’impasse sur cette fête? L’historienne Françoise Van Haeperen rappelle qu’on n’a pas toujours fêté Noël. « Cela n’est devenu une tradition que depuis le Moyen-Âge. Mais pas nécessairement partout. Cette fête a d’ailleurs été interdite un temps en Angleterre, lors de la Révolution française ou encore en URSS », dit-elle. Et elle rappelle aussi : « en 1918, lors de la grippe espagnole qui a fait des millions de morts, on a observé une troisième vague de contaminations juste après Noël »…

 

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