En Belgique, le 11 mars 2022 a marqué la fin du régime d’exception causé par la pandémie de Covid-19. Anne-Emmanuelle Bourgaux refuse de tourner la page. La docteure en droit rouvre cet épisode, unique par sa durée et son ampleur, dans «Covid-19, la démocratie confinée». Aux éditions de l’Université de Bruxelles, dans la collection Débats.
Pour la professeure de droit constitutionnel et d’histoire du droit à l’École de droit UMons-ULB, «le régime d’exception qui s’est installé pendant deux ans s’ancre dans les faiblesses que présente notre système constitutionnel hors période de crise. Observer l’évolution du droit Covid-19 permet de mettre en lumière ces faiblesses. Comme le virus auquel il s’attaque, et dans une forme de mimétisme, la gestion du Covid-19 a mis sous pression notre système institutionnel belge, en accentuant ses failles.»
Deux ans d’observations
Le livre est le fruit de l’expérience pédagogique participative Labovir-ius à l’École de droit UMons-ULB. Ce laboratoire juridique sur la crise Covid-19 est en ligne depuis le 30 mars 2020.
«Grâce au talent des étudiants qui ont réussi à créer en 48 heures une plateforme numérique, nous vivons ce moment ensemble, en direct», raconte la Pre Bourgaux. «Au départ, nous ne savons pas que notre observation va durer 2 ans. En suivant chaque semaine l’évolution du droit Covid-19, Labovir-ius permet d’apprendre le droit au contact du réel. Il forme à décrypter l’actualité en l’analysant juridiquement. Il initie au droit de la crise qui oblige à penser et à réagir dans l’urgence. Il brise la solitude et l’isolement dans lesquels la fermeture physique des universités nous plonge. Et enfin, c’est un laboratoire du libre examen.»
David contre Goliath
Entre le 13 mars 2020 et le 27 septembre 2022, des mesures urgentes sont décidées pour lutter contre la pandémie. Instaurées et détaillées par arrêtés ministériels. Ou par actes administratifs.
«Dans la hiérarchie des normes chère aux juristes, l’arrêté ministériel fait figure de paillasson: il est au bas de la pyramide juridique», rappelle Anne-Emmanuelle Bourgaux. «Compétent pour suspendre et annuler les actes administratifs, le Conseil d’État est en première ligne pendant toute la crise. D’un côté, tel David contre Goliath, des citoyens et citoyennes se battent pour leur liberté, pour leur métier, pour la scolarité de leurs enfants, pour leurs convictions philosophiques, dans des conditions sanitaires compliquées et des situations matérielles précaires. De l’autre côté, les magistrats du Conseil d’État se retrouvent à devoir effectuer des arbitrages très délicats.»
«En pratique, le Conseil d’État va avaliser le fondement légal des mesures Covid-19. Les contorsions auxquelles il doit se livrer illustrent cependant un profond malaise.»
Un couvre-feu selon les régions
Les mesures Covid-19 deviennent illisibles quand elles sont gérées par plusieurs entités. Comme celle d’un couvre-feu imposé différemment selon les régions. Sans contrepoids, l’État belge s’emballe. Punit, divise le pays, maltraite institutionnellement les jeunes.
À partir de l’automne 2020, des juristes, constitutionnalistes, bâtonniers, académiques, députés réagissent. En 2022, le législateur reprend la main. «Magnanime, le gouvernement laisse à la Chambre des représentants clôturer la gestion de crise dont elle a été largement exclue depuis deux ans», souligne la constitutionnaliste.
«Face à l’urgence et à la gravité de la pandémie, les exécutifs belges ont voulu réagir très vite», note Anne-Emmanuelle Bourgaux. «Pour ce faire, ils ont évité les contrepoids installés en période normale qui freinent, à dessein, leurs décisions. En contournant les parlementaires à qui la Constitution réserve une place centrale pour protéger nos droits et libertés.»
Un antidote prometteur
Au Parlement francophone bruxellois, en 2021, pendant la crise sanitaire, une commission délibérative de parlementaires, de citoyens, d’acteurs de terrain, de représentants d’associations émet des propositions concrètes pour faire face au virus. Les parlementaires assurent le suivi. Tiennent informés les participants.
La Pre Bourgaux considère que «ce modèle horizontal et inclusif de la commission délibérative apporte une puissante réfutation du modèle vertical, répressif et sur-exécutif de la gestion de crise organisée en Belgique du 13 mars 2020 au 11 mars 2022.»
«Face au risque de Covid long qui menace la Belgique, la commission délibérative mixte francophone bruxelloise offre un antidote prometteur. Celui de parier sur un modèle horizontal, inclusif et participatif au sein duquel les parlementaires, les citoyens et les acteurs de terrain (re)trouveraient une place centrale.»