Dans «Les visages de la réislamisation» de la collection L’Académie en poche, la sociologue Firouzeh Nahavandi perçoit ce mouvement comme un essai d’imposer les normes islamiques.
Son confrère, l’académicien Jean Leclercq, salue «le courage d’une intellectuelle et humaniste résolument attachée aux exigences de la raison et de la méthode scientifique, de nous donner un état des lieux réaliste et lucide.»
Être bon et authentique
«Dans ce livre, l’islamisme fait référence à un courant de pensée protéiforme qui se réclame des fondements de l’islam, mobilise, instrumentalise ses références et peut revêtir des aspects révolutionnaires, réformistes ou réactionnaires», précise la professeure émérite de l’Université Libre de Bruxelles. «Il présente de l’islam une lecture idéologique qui peut devenir une ressource politique. Et ambitionne de construire une alternative endogène à la modernité. Le corollaire de l’islamisme est l’islamisation ou ce qu’aujourd’hui il est convenu d’appeler la réislamisation.»
«Les mouvements apparentés – que l’on qualifie ici d’islamistes – sont le plus souvent nés dans des contextes de crise socio-économique et de malaises identitaires. Ils visent la prise de pouvoir dans les sociétés majoritairement musulmanes. Ils ont comme objectif d’instaurer un État régi par la norme religieuse.»
«Le terme réislamisation se justifie à partir du moment où les protagonistes s’adressent en priorité à une population déjà musulmane», poursuit la conférencière au Collège Belgique. «Qui toutefois n’est pas homogène. Peut être sécularisée ou ne pas pratiquer comme il se devrait. Et ne correspondrait pas à la définition que défendent les islamistes d’un bon et authentique musulman.»
À la conquête du pouvoir
L’islamisme se réfère à des mouvements très différents, parfois opposés. Tous prônent la réislamisation des sociétés. Et la conformité aux normes religieuses.
«Dans l’espace arabe, les islamistes ont mis sur pied des organisations d’avant-garde capables de se lancer à la conquête du pouvoir, le plus souvent en participant aux élections», note la Pre Nahavandi. «Frères musulmans en Égypte, Front islamique du salut (FIS) en Algérie, Ennahda en Tunisie. Il en est de même dans l’espace non arabe. Refah en Turquie, Parti islamique du Turkestan… De même en est-il dans la révolution islamique iranienne qui correspond à une prise de pouvoir par le haut des islamistes. La prise de pouvoir violente des talibans en Afghanistan illustre un autre cas de réislamisation.»
En Belgique
Dès la fin du XXe siècle, les mouvements de réislamisation agissent en Belgique. «C’est dans le cadre de l’immigration de travail qu’arrivent la majorité des premiers musulmans», explique la co-présidente de l’Institut de promotion des formations sur l’islam.
Apparition de mosquées dans les années 1970. Les tablighis convertissent les démunis, musulmans et non musulmans. Ces fondamentalistes les ramènent à un islam débarrassé des ajouts. Ils ne visent pas le pouvoir, mais le préparent par la religion. En 1978, la Grande mosquée de Bruxelles est inaugurée dans le pavillon oriental du Cinquantenaire offert par le roi Baudouin au roi Faysal d’Arabie saoudite. Son bras administratif, le Centre islamique et culturel de Belgique, ouvre des mosquées et des écoles coraniques. Distribue des livres et des manuels. Depuis 1999, l’Exécutif des musulmans de Belgique organise les cours de religion dans les écoles.
L’activisme des Frères musulmans
En Belgique, l’influence de l’Arabie saoudite débute avec l’expansion d’un islam wahhabite. Et d’un islam salafiste, corrigeant les croyances, les comportements des musulmans et non-musulmans. Dans les années 1980, les Frères musulmans commencent à faire leur chemin. Au début du XXIe siècle, la confrérie impacte une génération plus éduquée qui portera ses idées, influencera les milieux intellectuels et politiques belges. Convaincus par les discours sur l’identité, les débats sur le voile ou le hallal, le rituel d’abattage musulman, des milliers de jeunes se font les porte-parole de la lutte contre l’islamophobie. En 2019, la Belgique remet la gestion du Centre islamique et culturel à l’Arabie saoudite.
La sociologue Firouzeh Nahavandi observe que «ces influenceurs et leurs adeptes se veulent les interlocuteurs des institutions, entre autres européennes, dont Bruxelles est le siège, et font du lobbying. L’influence politique des Frères musulmans est plus grande que leur nombre. D’autant qu’ils travaillent par entrisme. En particulier, dans les partis politiques et les universités. Et, en conséquence, inquiètent plus que les salafistes.»
En juin 2023, un nouvel organe représentatif a été créé par arrêté royal: le Conseil musulman de Belgique.