Série: Innovations wallonnes (5/5)
Comment appliquer sur Terre une technologie élaborée initialement pour la gestion prédictive des missions spatiales? Tel est le défi relevé par Rombio (Robust Operations Management for Biotechs). Ce projet de spin-off porté par l’ingénieur Michael Saint-Guillain (UCLouvain), vise à se faire un allié des incertitudes pour optimiser les opérations dans le secteur des biotechnologies et des industries pharmacologiques.
« La gestion des opérations d’une mission spatiale n’est pas très différente en termes de complexité et d’impondérables qu’une campagne de bioproduction », explique-t-il. « Dans un cas comme dans l’autre, il y a des règles compliquées à respecter, des ressources limitées qu’il faut maîtriser et partager, mais aussi des incertitudes… Et dans les deux cas, on veut maximiser les résultats, la production. Mais pas à n’importe quel prix. »
L’optimisation combinatoire à la rescousse
Pour mener au mieux ces missions, un planning fiable et réaliste s’impose. Un planning qui peut intégrer des compromis entre fiabilité du planning et rendement espéré.
« Ce que nous proposons aujourd’hui, après une thèse de doctorat en optimisation combinatoire sous incertitude, ainsi que trois années de collaboration avec des entreprises biotechs en Wallonie, c’est un logiciel doté d’une intelligence artificielle qui rencontre ces attentes », précise l’ingénieur.
« Notre produit permet de générer automatiquement des plannings optimisés et fiables. Des plannings qui suivent les opérations, qui peuvent détecter des semaines voire des mois à l’avance des problèmes potentiels. Ce même logiciel est également capable de bien optimiser les décisions à prendre dans le futur, en fonction de ce qui se passe réellement durant le projet : retard dans le démarrage de la production, pannes de machines, etc. »
Une innovation triple
Le logiciel Rombio repose sur l’intégration de trois innovations. La première prend en compte les incertitudes au moment de la génération et de l’optimisation des solutions. Cela permet d’obtenir des plannings réellement implémentables. Cette innovation découle directement de la thèse de Michael Saint-Guillain.
Deuxièmement, c’est sans aucun doute la partie la plus innovante de cette technologie, il y a la modélisation graphique par l’utilisateur. Elle permet à n’importe quel collaborateur, pas nécessairement versé dans la programmation, et sans que cela ne nécessite de développements spécifiques, d’alimenter le logiciel en informations pertinentes.
« Grâce à la modélisation graphique des problèmes de production ou rencontrés dans la planification, l’utilisateur va pouvoir décrire le problème à résoudre à l’intelligence artificielle. Et ce, grâce à un langage graphique, visuel », détaille Michael Saint-Guillain.
« Il va dessiner à l’écran des boîtes qu’il va relier entre elles par des flèches, exprimant ainsi des ensembles d’activités à effectuer. Il va dessiner la structure du problème en ajoutant des flèches entre ces activités. Des flèches qui représentent des contraintes diverses, des ressources partagées.»
« Grâce à cette simplification graphique, notre technologie peut être utilisée directement dans n’importe quel contexte opérationnel, sans développement spécifique », assure l’ingénieur.
« Notre solution ne nécessite pas de développements spécifiques. Elle est directement utilisable par un opérateur après deux ou trois heures de formation. Alors que ce qui existe actuellement sur le marché nécessite à chaque fois du développement pour adapter le logiciel existant. Ce qui signifie pour l’entreprise qu’elle doit quasiment se faire faire un logiciel sur mesure et, à la limite, pour chaque gamme de produits. Ce n’est pas le cas avec Rombio. »
Une IA nourrie par des humains
Enfin, l’intelligence artificielle dont il est question ici n’est pas du type « machine learning ». Pour ceux qui s’y connaissent dans le jargon, il s’agit de « model-driven AI », et non de « data-driven AI ».
« Nul besoin donc d’alimenter l’IA avec une foule de données, ou d’un historique d’observations», précise Dr Saint-Guillain. « Tout ce dont nous avons besoin pour la nourrir se trouve déjà dans la tête du gestionnaire des opérations. Plutôt que de demander à l’IA d’apprendre par elle-même les règles du jeu, celles-ci sont directement données par l’utilisateur, grâce à une technique de modélisation, révolutionnaire par sa simplicité. On utilise l’expérience du planificateur, et non des milliers de données pour optimiser la production », conclut-il.
Rombio est actuellement utilisé dans de grands groupes pharmaceutiques. Sur le site de Takeda Lessines, la gestion et l’optimisation des opérations de production, au niveau de la chaîne d’approvisionnement et pour toutes leurs gammes de produits, se fait entièrement grâce à Rombio. Après plusieurs mois d’utilisation, les différences en termes de rendement se font déjà ressentir : l’optimisation combinatoire proposée par l’IA a permis réduire significativement les risques dans les plannings, tout en gagnant chaque mois plusieurs créneaux de production.