La plus ancienne preuve de déformation des cornes. Il y a environ 3 700 ans, les anciens Égyptiens faisaient pousser les cornes des moutons vers le haut au lieu de les laisser pousser horizontalement © Bea De Cupere / IRSNB

L’énigme des cornes déformées en Egypte antique

28 novembre 2024
par Daily Science
Temps de lecture : 6 minutes

Des scientifiques de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique et de l’Université d’Oxford ont découvert sur un site égyptien la plus ancienne preuve de bétail dont les cornes ont été délibérément déformées. Les anciens Égyptiens forçaient les cornes en tire-bouchon des moutons, qui poussent naturellement vers les côtés, à se dresser vers le haut. « Pour l’instant, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur leurs motivations », déclare l’archéozoologue Wim Van Neer.

Hiérakonpolis, ou Nekhen, est un site archéologique situé le long du Nil en Égypte, légèrement au sud de Louxor. Bien avant la construction des pyramides et le règne des pharaons, cette ville était l’une des plus grandes et un important centre politique entre 3700 et 3500 av. J.-C. C’est également l’un des rares sites à disposer de cimetières pour le peuple et l’élite.

Les cornes de mouton déformées ont été mises au jour dans le cimetière d’élite (principalement la tombe 54) à Hierakonpolis (également appelée Nekhen), sur les rives du Nil. De nombreux animaux exotiques y ont également été découverts. Hierakonpolis est considérée comme le plus ancien zoo © Xavier Droux
La tombe 54 du cimetière d’élite de Hierakonpolis contenant les moutons. Ils avaient des cornes en forme de tire-bouchon, comme le montre la gaine de kératine qui a été découverte © Renée Friedman et Bea De Cupere / IRSNB

Le plus ancien zoo

Dans le cimetière de l’élite, pas moins de 180 animaux ont été enterrés aux côtés de notables. Un cinquième de ces animaux étaient des animaux sauvages, tels que des hippopotames et des crocodiles locaux, ainsi que des babouins et des éléphants importés du sud. Les archéologues ont également mis à jour de nombreux chats, chiens et du bétail. La quantité et la variété d’animaux font de Hiérakonpolis un site unique, considéré aussi comme le plus ancien zoo connu.

Images de moutons avec des cornes en forme de tire-bouchon sur de la poterie égyptienne antique et dans des tombes © Renée Friedman

Droites comme un “I”

Dans une nouvelle étude, Bea De Cupere et Renée Friedman décrivent six moutons trouvés dans une tombe. Normalement, cette espèce possède des cornes en spirale qui poussent horizontalement vers les côtés, mais chez trois spécimens, les cornes avaient été manipulées. L’un avait les cornes orientées vers le haut, l’autre les avait moins droite, mais plus rapprochées et le dernier était totalement écorné. « Des encoches sur les cornes suggèrent que les anciens Égyptiens utilisaient des cordes pour changer la forme de celles-ci», explique l’archéozoologue Bea De Cupere (Institut des Sciences naturelles), qui a participé à six campagnes de fouilles à Hiérakonpolis.

Les moutons aux cornes déformées étaient-ils utilisés dans des rituels ? Nous ne le savons pas, mais voici une reconstitution artistique d’un mouton décoré provenant d’une tombe à Kerma (Soudan). Et un détail du bol rituel d’Abydos (Égypte) montrant un mouton aux cornes en tire-bouchon avec un objet sur la tête © G. Deuber; R. Friedman

« Des trous dans les os du crâne indiquent que les éleveurs brisaient également le crâne du jeune animal pour favoriser la pousse verticale des cornes. Cette pratique est encore utilisée aujourd’hui sur le bétail dans certaines communautés pastorales africaines. »

Les ossements découverts dans le cimetière des élites montrent, outre les mutilations décrites, que les animaux étaient bien plus âgés – 6 à 8 ans au lieu de 3 ans – et aussi plus grands que leurs congénères retrouvés dans les déchets d’abattage sur une autre partie du site. « C’est le résultat de la castration », explique Bea De Cupere. « Les moutons deviennent non seulement plus faciles à manipuler, mais ils grandissent aussi davantage. »

L’archéozoologue Wim Van Neer (Institut des Sciences Naturelles) dans une tombe contenant des bovins © Renée Friedman
L’archéozoologue Bea De Cupere (Institut des Sciences naturelles) étudie les ossements de moutons provenant des tombes de Hierakonpolis © Wim Van Neer)

Suprématie et puissance

La raison pour laquelle les anciens Égyptiens déformaient les cornes reste incertaine. Selon Wim Van Neer, archéozoologue qui a participé à douze fouilles à Hiérakonpolis, « l’élite souhaitait peut-être afficher sa puissance en possédant des animaux sauvages et exotiques, et en redressant les cornes de grands moutons impressionnants. Peut-être voulaient-ils que les moutons ressemblent aux addax du Sahara ? Ou bien les animaux faisaient-ils partie de rituels ? Pour l’instant, ce ne sont que des hypothèses. »

Les chercheurs espèrent trouver d’autres crânes de bétail avec des cornes déformées pour mieux comprendre cette pratique particulière. La découverte d’Hiérakonpolis constitue la plus ancienne preuve de déformation de cornes de bétail – 1000 ans avant les cornes de bœuf déformées trouvées sur un site au Soudan – et le premier cas connu d’une telle pratique sur des moutons.

Certaines communautés pastorales africaines déforment encore les cornes du bétail en brisant le crâne à la base des cornes et en repositionnant celles-ci. Les raisons peuvent être de marquer leur animal préféré, d’honorer un animal dont un jeune homme tire son surnom, ou parce qu’on pense que cela porte bonheur © Jérôme Dubosson
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