La louve Noella © INBO

Les loups font leur trou en Belgique

28 décembre 2023
par Ophélie Delarouzée
Durée de lecture : 6 min

Les premières portées de loups nés sur notre territoire ont été observées durant l’été 2023. C’est un premier bond démographique qui fait grimper le compteur à 4 meutes pour quelque 27 loups. Cet ancrage belge consolide aussi un pont entre les populations lupines du nord et du sud de l’Europe.

Les loups belges sont d’origine germano-polonaise. Ils sont venus d’Allemagne en longeant la frontière des Pays-Bas et se sont établis à l’est du pays. Parmi les éclaireurs qui ont tracé cette voie, il y avait Naya, la première louve à s’être installée en Belgique. C’était en janvier 2018 dans un camp militaire du Limbourg. Le mâle August a été filmé à ses côtés en août de la même année. Le couple n’a pas eu de descendance. Naya a disparu gestante au printemps, vraisemblablement abattue. August est resté seul jusqu’à l’hiver suivant et la venue de Noëlla, qui lui a donné une portée au printemps 2020.

Une jeune louve née de leur union est officiellement installée depuis quelques mois en région d’Anvers. Un compagnon potentiel a été détecté mi-octobre 2023 dans son voisinage, mais son établissement n’est pas confirmé.

Les 3 meutes wallonnes actuelles © SPW Réseau Loup

Akéla règne sur les Hautes-Fagnes

La présence d’Akéla, le premier loup wallon, a été détectée dans les Hautes-Fagnes en juin 2018. Il a dû attendre un an et demi, et l’arrivée de Maxima, pour fonder une meute. Ils ont eu trois portées ensemble.

Du sang neuf est apporté par des individus de la lignée italo-alpine de plus petit gabarit. Une femelle de la première portée de 2021 vient de former un couple mixte et de donner naissance à des louveteaux. Un de ses frères a également eu une portée durant l’été 2023 avec une femelle d’origine encore indéterminée.

Voie migratoire Allemagne-Belgique © SPW Réseau Loup

Le Réseau Loup : un observatoire belge au cœur de l’Europe

 » Ce qui est important  », indique la biologiste du SPW Violaine Fichefet, c’est que ‘les deux voies de dispersion se rejoignent chez nous, ce qui génère un brassage génétique bénéfique. Au fil du temps, les différentes populations européennes devraient se confondre en une seule. »

Pérenniser le couloir de migration central en Europe est un gage de viabilité pour la population lupine belge comme pour les autres. L’expansion actuelle devrait permettre de connecter les foyers localisés aux marges européennes.

Aux extrémités les plus isolées, la situation est moins réjouissante. La fragmentation des habitats a eu raison de la trop petite population du sud de l’Espagne. Et elle met en péril les meutes scandinaves en proie à la consanguinité et à la chasse. En effet, en Norvège, en Finlande et en Suède, de grandes chasses très contestées ne respectent pas le statut de protection du loup.

En Wallonie, sur les 35 loups solitaires en quête de territoire, que l’on appelle des dispersants, ponctuellement signalés depuis août 2016, seuls 7 italo-alpins ont été identifiés. L’évolution de leur nombre pourra constituer un indicateur des effets des politiques de gestion en France (quota de prélèvement de 19% pour 1100 loups) et en Suisse (autorisation contestée par des associations de réduire les 32 meutes jusqu’à un minimum de 12 à compter du 1er décembre 2023).

Si le recensement a été vecteur de défiance en France,  »on a misé sur la transparence », assure la biologiste.  »On a créé le Réseau Loup, composé d’experts de divers horizons, pour vérifier tous les indices (salive, excréments…) et ne pas laisser place à la rumeur. On a un degré de précision assez unique. »

Un louveteau photographié le 11-07-2023 © SPW Réseau Loup

Une vingtaine de meutes à l’avenir ?

En théorie,  » le foyer naissant en Wallonie pourrait s’étendre jusqu’à peut-être 20 meutes entre les Ardennes françaises et l’Allemagne, sous le Sillon Sambre-et-Meuse, où passent déjà les dispersants », projette Violaine Fichefet.  »La Wallonie est couverte à 33% de forêts. Leur régénération est entravée par endroits par une surabondance d’ongulés. »

Plus urbanisée,  »la Flandre devrait pouvoir accueillir 3 ou 4 meutes en s’appuyant sur la zone transfrontalière avec les Pays-Bas », selon Joachim Mergeay, chercheur à l’Institut flamand pour l’Étude de la Nature et des Forêts.

Un louveteau du couple mixte pris par une des 60 caméras de la Zone de Présence Permanente (ZPP) © SPW Réseau Loup

La route tue davantage les loups en Flandre qu’en Wallonie

En pratique, l’environnement peut leur être hostile. Des loups ont la gale. Ils courent aussi le risque d’être infectés par des sangliers porteurs de la maladie virale d’Aujeszky, pseudo-rage qui leur serait fatale en quelques jours.

Une dizaine d’accidents mortels ont été comptabilisés en Flandre, contre un seul, en septembre 2023, sur les routes wallonnes. La A2 est particulièrement redoutable, de même que les berges abruptes du canal Albert, qui a emporté un italo-alpin en 2020.

August a été renversé le 25 juillet 2023, laissant ses 7 petits aux abois. L’un d’eux s’est fait écraser deux mois plus tard. Noëlla a réussi à faire grandir seule au moins 5 des louveteaux.

Meute du nord des Hautes-Fagnes, photo prise le 17.08.2023 © SPW Reseau Loup

Une coexistence intelligente à inventer

La Flandre déplore 561 animaux d’élevage tués, avec une chute notable des victimes en 2023 attribuée aux mesures de protection. Le SPW certifie pour sa part que 220 têtes de bétail ont fini dans la gueule du loup, dont 136 dans celles de dispersants.  »Les meutes en Wallonie sont spécialisées en proies sauvages (à peine 3% d’ovins (mouton, brebis)) d’après les excréments analysés en 2020-2022  », selon l’appréciation de la biologiste wallonne.

La Belgique n’a encore jamais fait usage d’un tir dérogatoire au statut de protection de l’espèce.  »Un loup tué n’aura rien appris ni rien transmis à sa progéniture », relève Violaine Fichefet. Elle estime, en effet, préférable de les éduquer à un comportement acceptable par l’Homme. Et ce, afin qu’ils enseignent cette façon d’agir à leur descendance.

Elle mise sur l’étude des comportements pour trouver des solutions de cohabitation :  »Quand il y a des clôtures électriques, on n’entend plus parler du loup. Mais il saisit la moindre faille. On privilégie les stimuli négatifs à l’approche de l’Homme : on pense à s’équiper de fusils à balles en caoutchouc. Des colliers qui diffusent des phéromones de loups territoriaux sont aussi à l’essai en Suisse. »

Cette dernière piste lui semble prometteuse. C’est qu’elle observe depuis l’été 2023 les trois territoires des meutes wallonnes se juxtaposer sans interpénétration, en respect des marquages urinaires. Exploiter la territorialité des loups pour protéger les troupeaux ouvre une nouvelle voie de recherche.

Dans les pays voisins où les loups se sont déployés en plus grand nombre, des éleveurs de moutons excédés réclament des solutions radicales. Ils en appellent à lever leur statut d’espèce strictement protégée et à ressortir les fusils sans plus de retenue. Loin d’afficher une volonté d’en revenir à l’éradication du XIXe siècle, la Commission européenne a estimé que l’heure était venue pour elle de tenir le débat sur la régulation.

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