Préserver les sols agricoles à tout prix

29 juin 2018
par Laetitia Theunis
Durée de lecture : 8 min

Face aux défis environnementaux, l’agriculture doit se réinventer. Apprendre à utiliser tous les services écosystémiques offerts par la nature est une urgence. De quoi parvenir, à terme, à se passer de tout intrant chimique de synthèse. Le dessein de l’agriculture de conservation des sols est de tendre vers l’écologie totale, même si actuellement l’heure est aux compromis.

Greenotec, une ASBL financée par la Wallonie, a fait de l’agriculture de conservation des sols son cheval de bataille. En plus de fédérer plus de 300 agriculteurs wallons et de leur fournir des conseils, elle réalise des recherches dans ce domaine agronomique d’avenir, main dans la main avec le centre de recherche agronomique de Gembloux. Elle vient d’organiser la deuxième édition du festival de l’agriculture de conservation des sols.

S’il n’y a pas de recette miracle à appliquer à l’identique dans toutes les parcelles, l’agriculture de conservation des sols est toutefois régie par trois règles strictes. La première est de ne pas retourner le sol, donc de ne pas labourer. La deuxième est de couvrir le sol en permanence par une diversité de végétaux. Enfin, il faut pratiquer la rotation de cultures sur plusieurs années. Autrement dit, année après année, ce sont des variétés végétales différentes qui croissent sur une même parcelle. « Plus on diversifie, plus la nature y trouve son compte », résume Frédérique Hupin, chercheuse en agriculture de conservation des sols et journaliste pour TCS, une revue spécialisée dans cette matière.

Le labour détruit le sol

Dans nos campagnes, de nombreux champs sont striés de ravines. A quoi sert donc le labour ? Précisément à enfouir profondément les graines de mauvaises herbes ainsi que les œufs et larves des insectes nuisibles. Et ce, afin de les tuer. Remplissant des fonctions d’herbicide et d’insecticide mais sans recours à des produits chimiques phytosanitaires, le labour est largement utilisé en agriculture biologique.

Il est toutefois considéré comme une hérésie en agriculture de conservation des sols. En effet, le labour détruit le sol. Les filaments des précieux champignons, véritables World Wide Web souterrains, sont tranchés et déconnectés les uns des autres. En amenant l’oxygène de surface en profondeur, on y décime aussi les micro-organismes anaérobiques, dont des souches bactériennes qui dégradent les polluants.

Le labour est une cause d’inondation

De surcroît, le labour nuit à l’aération du sol. Pour l’expliquer, partons du cas où le sol n’est pas labouré : les vers de terre viennent en surface prélever des résidus végétaux pour se nourrir. Ils s’en vont ensuite les digérer dans les profondeurs de la terre. Pour cela, ils creusent une multitude de galeries verticales sur plus d’un mètre de profondeur. Mais lorsqu’on laboure, la terre est retournée et la matière organique de surface est enfouie à une quarantaine de centimètres. Les vers de terre n’ayant plus de raison de venir jusqu’en surface, cette couche de terre supérieure se trouve très appauvrie, voire dénuée de galeries. Lorsqu’il pleut, l’eau pénètre dès lors moins bien dans la terre. Le labour est l’une des causes majeures des inondations en milieu rural.

« Dans les sols labourés chaque année, le déclin des vers de terre est systématique. Après l’arrêt du labour, il faut compter 10 ans pour que leurs populations soient complètement reconstruites et retrouvent leur équilibre », explique Frédérique Hupin. Dans une terre saine, la biomasse des vers de terre pèse lourd, très lourd même: l’équivalent de 5 vaches par hectare enfouies dans le sol!

Un couvert vert permanent et diversifié

Le champ cultivé en agriculture de conservation des sols a des airs de folle cacophonie végétale. Mais détrompez-vous, ce qui semble être le chaos est en réalité un mélange bien réfléchi. Après plus de 6 ans de recherche, Greenotec a identifié un mix végétal intéressant pour cultiver le colza puis le froment sur une même parcelle. Le rendement se situe entre 106 et 109 % au fil des années. De quoi faire pâlir d’envie bien des agriculteurs. « Cela est dû à l’apport naturel d’azote mais aussi à la structuration saine du sol. Tous deux font que les plantes se portent mieux », explique Maxime Merchier, chercheur et coordinateur de l’ASBL Greenotec.

Passons de la théorique à la pratique. La première année, diverses légumineuses sont semées (80 kg de graines/ha pour un coût de 80€) en même temps que le colza. Ces plantes ont la caractéristique de capter l’azote de l’air pour en nourrir le sol, permettant ainsi de se passer, complètement ou partiellement, d’engrais supplémentaires. Parmi elles, il y a la lentille fourragère qui, en rampant sur le sol, concurrence les adventices et les étouffe. Son action permet d’éviter un herbicide.

Ensuite, il y a les féveroles et le trèfle d’Alexandrie qui permettent quant à eux d’économiser un insecticide. En effet, de par leur port dressé, ces plantes cachent le colza en croissance. «  Dans un tel champ où plus de 900 plantes se partagent le même mètre carré, dont à peine quelque plants de colza, pas facile pour les altises, des insectes prédateurs des cultures, de trouver le colza dont elles raffolent. Face à la difficulté, elles quittent le champ … et vont se régaler chez le voisin qui pratique la monoculture de colza », explique en souriant Maxime Merchier.

Un colza hâtif sacrifié en appât

Ces 3 légumineuses gèlent durant l’hiver et enrichissent naturellement le sol en azote. Le colza quant à lui redémarre au printemps. Il est seul sur le champ. Ou plutôt non, ils sont deux. Deux types de colza. Le premier, qui représente 6 % du colza total, est dit hâtif. Il pousse avec 10 jours d’avance et sert d’appât aux méligèthes, des coléoptères dévoreurs de colza.

« Ces insectes font des trous dans leurs boutons pour en manger le pollen. Pendant que le colza hâtif se fait dévorer, le colza que l’on veut cultiver (96%) arrive à floraison sans encombre, continue-t-il. Lorsque ses fleurs s’ouvrent, les méligèthes qui viennent s’y poser n’agissent plus en dangereuses prédatrices mais en précieuses pollinisatrices. » L’ennemi du début de printemps se transforme donc en quelques jours en un allié. Faut-il pointer que ce service de pollinisation rendu par la nature est annihilé en cas d’usage d’insecticide, comme c’est le cas en agriculture conventionnelle ?

Du glyphosate avec parcimonie pour assommer le trèfle blanc

Lorsque le colza arrive à maturité, il sèche. La lumière redescend sur le pied des plants où le trèfle blanc, semé l’année précédente avec les trois légumineuses citées précédemment, continue tranquillement à pousser. Après la récolte de colza, le trèfle, bénéficiant de la totalité de la lumière, couvre rapidement le sol et empêche les adventices de pousser. « De la sorte, on économise encore un herbicide. Le trèfle blanc produit de l’azote et peut être pâturé par le bétail. »

Mais il y a un « mais ». Si le trèfle est très agressif avec les mauvaises herbes, il l’est tout autant avec le froment que l’on sème directement en octobre sur le couvert de trèfle (on parle de semi direct, une technique qui utilise des semoirs particuliers). « On a besoin à ce moment-ci d’une molécule phytosanitaire pour gérer le trèfle blanc et le faire mourir lentement durant l’hiver. A savoir, pulvériser un litre de glyphosate par hectare et 5 grammes d’une hormone appelée « allié » », explique Maxime Merchier.

Labourer : globalement plus néfaste sur la vie du sol que les pesticides?

Peut-on envisager une agriculture d’avenir encore et toujours utilisatrice de pesticides, bien qu’en très moindres quantités par rapport à l’agriculture conventionnelle? Un élément de réponse a été amené par l’un des clous du festival de l’agriculture de conservation : la conférence donnée par deux chercheurs danois de l’université d’Aarhus, Dr Søren O. Petersen et Dr Paul Henning Krogh.

Dans une étude commandée par l’agence danoise de protection de l’environnement, ils ont comparé les dégâts causés par le labour et ceux causés par les pesticides sur sol non labouré. Résultats? Le labour est davantage néfaste à la vie du sol que l’insecticide cyperméthrine appliqué en excès (les tests en champs ont été réalisés avec des doses 50 fois supérieures à la dose « recommandée ») ou que le fongicide mancozèbe en excès (jusqu’à 10 fois la dose « recommandée »).

Comment expliquer cette résilience des sols non labourés ? L’astuce principale réside dans la couverture végétale permanente. « La présence de plantes de couvert assure un grouillement de vie dans le sol, de telle sorte que le pesticide y est rapidement dégradé par les armées de micro-organismes. La destruction des polluants en molécules plus petites et moins dangereuses va beaucoup plus vite en agriculture de conservation des sols », explique Frédérique Hupin.

Mais les pesticides ne percolent-ils pas tout de même pas jusqu’au coeur des nappes phréatiques ? Sur base de l’étude danoise, Frédérique Hupin répond par la négative.

A noter toutefois que l’étude danoise s’est concentrée sur deux pesticides particuliers, la cyperméthrine et le mancozèbe. Le glyphosate n’a donc pas été envisagé. Concernant cette molécule, la question reste donc ouverte.

 

 

 

 

 

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