Julien Delarbre, Chief scientist officer de Dermatoo © Christian Du Brulle

Des plaies surveillées en 3D

29 juillet 2025
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 7 minutes

La start-up wallonne Dermatoo, basée à Embourg, met le cap sur l’Asie du Sud-Est pour le développement de sa technologie médicale (medtech). Ces derniers jours, c’est à Taiwan et aux Philippines qu’on croisait Julien Delarbre, son fondateur. Le produit phare de son entreprise ? Un dispositif digital de surveillance des plaies. Une application qui devrait faciliter la vie des soignants, améliorer le suivi par les médecins, et bien sûr, améliorer le confort des patients.

Sous l’œil du smartphone

Le principe de base est tout simple. Il « suffit » de documenter régulièrement l’évolution d’une plaie avec l’appareil photo d’un smartphone et de partager ensuite l’image entre soignants et médecins via l’application dédiée. « L’idée, c’est qu’en 15 secondes un soignant qui, par exemple, remplace un pansement, puisse capturer une image de la plaie. Comment ? En la filmant sous différents angles. Cela permet ensuite une reconstruction 3D précise, fiable et exploitable», explique Julien Delarbre, à Taipei, lors d’une mission économique organisée par l’Awex, l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers, en marge du salon Bio-Asia 2025.

Le smartphone ne fait pas tout, bien sûr. Il faut aussi un algorithme qui décode l’image, reconstruit la plaie en 3D, en livre les dimensions et en restitue toutes les nuances de couleurs, histoire de détecter le plus rapidement possible le développement d’une éventuelle infection. À terme, la détection de la température devrait encore compléter le dispositif. « Certaines caméras sont capables de prendre des images dans l’infrarouge », précise l’entrepreneur.

Marqueurs de calibration Twinskin © Christian Du Brulle

Outil de dialogue pour professionnels de la santé

Pour obtenir un rendu précis et uniforme des couleurs et des dimensions d’une plaie, l’application TwinSkin.care de Dermatoo implique l’utilisation d’un marqueur de calibrage lors de la prise de vue. Ce marqueur se présente sous la forme d’un petit timbre (voir illustration ci-dessus) qui est appliqué à proximité de la plaie à photographier en 3D.  Il est également doté d’un code QR qui permet d’identifier immédiatement le patient et de verser les dernières images disponibles dans son dossier. Un dossier connecté accessible au soignant, au médecin ou au centre de soins. Il autorise le dialogue entre ces différents professionnels qui ont ainsi accès aux commentaires des uns et des autres. Ce qui permet d’optimiser le traitement en fonction de l’évolution de la situation.

Tout passe par un algorithme de traitement de signal et de communication. Ce qui explique que Julien Delarbre a continuellement les mains sur son clavier. Il code, modifie l’algorithme, l’améliore, le teste. En Belgique, il bénéficie du coaching d’Ignity, l’incubateur wallon dédié aux projets issus des sciences de l’ingénieur.

Depuis qu’il s’est rendu une première fois à Taiwan, en décembre 2024, avec une première délégation d’entreprises wallonnes emmenées en mission économique par l’Awex, Julien Delarbre a aussi pu présenter son innovation au « BiomedAccelerator » de l’université médicale de Taipei (TMU x BE),  un des plus prestigieux accélérateurs de biotechnologies/medtechs d’Asie.

La jeune pousse wallonne a été conquise par cet environnement. L’incubateur aussi et l’a prise sous son aile en février 2025, avec une dizaine d’autres start-ups taïwanaises et internationales. Le but étant d’accélérer l’introduction de leurs innovations biomédicales dans les environnements et les processus cliniques locaux. Ce programme aide les jeunes pousses à valider leur innovation en la testant, mais aussi en leur donnant des conseils en matière de modèles économiques. De quoi les aider à accéder rapidement au marché asiatique.

Essai clinique aux Philippines

La technologie proposée par Dermatoo est prometteuse. Encore faut-il qu’elle fonctionne partout. C’est là qu’intervient le Dr Charles Cabuquit, chirurgien orthopédiste à la Hilom Wound Care Clinic, aux Philippines. Là-bas, les plaies liées au diabète sont un fléau. La demande en outils de suivi est immense. Une étude clinique portant sur TwinSkin.care va y démarrer cet été. Son protocole a déjà été validé par les autorités locales. « Ce qui a pris des mois en Europe a été validé en deux semaines là-bas. C’est impressionnant », souligne Julien Delarbre. Son objectif désormais: valider la précision et la reproductibilité des prises de vues de Twinskin.

Dermatoo n’oublie pas pour autant ses racines. En Belgique, une vaste étude clinique est en cours avec le CHU de Charleroi, l’ULB, le CHC Liège, et des partenaires comme le centre de recherche  Multitel. « On a plus de 600 plaies analysées à ce stade », précise le désormais CSO (Chief scientist officer) de Dermatoo. Le but ? Évaluer scientifiquement la fiabilité du système, en recréant la dynamique médecin-infirmier autour d’un outil partagé. « On veut que tout le monde ait cette expertise dans la poche », dit-il. Et qu’elle permette de fluidifier les soins, réduire le nombre de clics sur les interfaces numériques pour les soignants, et recentrer le temps médical sur l’essentiel. « On a vu des actions qui demandaient 17 clics… C’est absurde. On veut que le professionnel arrive, scanne, et que cela fonctionne. »

Courbe de décroissance

« Aujourd’hui, la plupart des applications concurrentes fonctionnent avec une simple photo. Cela ne permet ni de voir la profondeur d’une plaie, ni d’en suivre l’évolution précise. Dermatoo, avec sa reconstruction 3D, change la donne », assure-t-il. Sa solution va cependant au-delà de la simple capture et de l’archivage des plaies.

« Prenez un enfant : on suit sa croissance avec des courbes, des percentiles. Pourquoi ne pas faire pareil avec les plaies et miser sur une courbe de décroissance de la plaie pour évaluer son évolution ? Si la plaie cesse de se résorber, c’est qu’il y a un problème. Infection, dénutrition, diabète mal géré… Avec notre solution, nous voulons arriver à une vision à la fois locale et holistique du patient. C’est cette courbe qui guidera demain les décisions médicales.»

En Belgique, 20% du temps infirmier est consacré aux soins de plaies. Pourtant, peu d’infirmiers et médecins reçoivent une formation approfondie sur le sujet. C’est pourquoi Dermatoo travaille à intégrer les connaissances des professionnels directement dans son logiciel. Grâce à un outil d’annotation intelligent, l’application apprend de chaque utilisateur expert. Ce savoir est ensuite mutualisé, permettant à tous d’en bénéficier. « On ne remplace pas les professionnels, on les assiste », martèle l’entrepreneur.

Un modèle économique accessible et durable

Twinskin est déjà commercialisée. Son modèle économique est simple : chaque analyse 3D coûte 1 euro. Pas besoin d’acheter le logiciel, ni les marqueurs. Dermatoo fournit les feuilles, et facture uniquement les analyses. Un choix volontairement inclusif, pour permettre à tous les professionnels, du petit cabinet infirmier aux grands hôpitaux, d’y accéder sans barrières financières.

Ce qui frappe chez Dermatoo, c’est cette alliance improbable entre une technologie de pointe, une vision centrée sur l’humain, et un ancrage régional fort. Avec l’Awex pour soutien à l’international, et des partenaires scientifiques locaux solides, la start-up a su allier proximité et ambition mondiale.

En Belgique, à Taiwan comme aux Philippines, la solution belge commence à se faire remarquer. « Nous souhaitons qu’un professionnel de santé puisse, sur le terrain, gagner en expertise en utilisant Twinskin. Que cette expertise se transmette, que les soins soient meilleurs, plus rapides, plus sûrs », conclut Julien Delarbre.

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