« Des oiseaux migrateurs tels que les pinsons des arbres, alouettes des champs, vanneaux huppés et autres linottes mélodieuses pourront être observés chez nous. De même que des pipits farlouses, une sorte de petite alouette, qui nichent dans les plaines du Nord et qui, sur son trajet hivernal vers le Sud, s’arrêtent en Belgique », annonce Alain Paquet, ornithologue au département Etudes de Natagora. Ces 1er et 2 octobre, de Finlande jusqu’en Géorgie et au détroit de Gibraltar, auront lieu les Journées européennes de la migration, coordonnées par l’ONG BirdLife International. Diverses activités organisées en Wallonie et à Bruxelles permettront à petits et grands de s’émerveiller sur les performances physiques des oiseaux migrateurs, sur leurs systèmes d’orientation innés et acquis, sur les distances folles qu’ils parcourent à tire-d’aile. Et de prendre conscience que la sauvegarde des oiseaux migrateurs requiert une législation planétaire.
Vol de nuit
Sans que vous en ayez pleinement conscience, la migration bat son plein depuis début août. Ce sont des millions d’oiseaux qui glissent de nuit jusqu’au sud de l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Durant la journée, des individus de certaines de ces espèces sont observés dans les buissons en train de se reposer et de manger. Puis, quand viendra la nuit, ils reprendront leur envol.
« Cette migration nocturne est typique des petits insectivores, comme les fauvettes, les pouillots, les gobe-mouches. Cela leur permet d’éviter de croiser la route d’un faucon, leur principal prédateur, qui lui, est essentiellement diurne. Aussi, les perturbations atmosphériques sont moindres que durant le jour. Et puis, ces oiseaux de petite taille savent se repérer sur la voûte céleste », explique Alain Paquet.
Des pros de l’orientation
Les oiseaux migrateurs sont dotés de divers systèmes d’orientation encore largement méconnus. « Pour se repérer, on sait qu’ils utilisent la lumière polarisée, le champ magnétique, l’azimut solaire. Chacun de ces systèmes de navigation a un point faible : il est difficile de bien se repérer avec le Soleil lorsque le ciel est bouché. Dans ce cas, un autre système de navigation prend le relai, par exemple le champ magnétique. Mais celui-ci peut parfois varier. Dans ce cas, les oiseaux migrateurs recoupent les infos avec la voûte céleste ou avec l’azimut solaire », explique l’ornithologue.
L’apprentissage de ces techniques ne se fait pas sur les bancs de l’école, mais au cours de la vie et pour l’une en particulier, dès le nid. « Une fauvette à tête noire née dans une haie à Charleroi, quand elle est au nid et durant son premier été, voit le ciel tourner. De la sorte, elle enregistre le mouvement de rotation autour de l’étoile Polaire. » Et apprend à lire la voûte céleste.
« Fin de l’été, alors qu’elle n’est âgée que de quelques mois, sans avoir reçu d’apprentissage parental à ce sujet, elle partira vers l’Afrique, de nuit, seule, sous le coup de deux impulsions innées. La première lui indique une grande direction à prendre. En Belgique, il s’agit du sud-ouest en automne ; et du nord-est au printemps. La seconde a trait à une durée d’effort, c’est-à-dire à un nombre de jours avant d’arriver à destination. La forme peut prendre 3 semaines vers le sud-ouest puis 6 semaines vers le sud : si un oiseau belge réalise cet itinéraire, il arrive au Sénégal. C’est inné. Puis, avec l’expérience, les autres systèmes de navigation (azimut solaire, champ magnétique, lumière polarisée ) vont s’affiner. »
Cela est vrai pour les fauvettes, mais aussi pour les rouges-queues, les loriots, les coucous et autres pouillots.
Par contre, chez les grues, les oies et les canards, ces systèmes de navigation sont supplantés par l’apprentissage familial. « Les jeunes oiseaux doivent faire au moins deux fois l’aller et le retour avec les parents pour bien mémoriser et comprendre le trajet migratoire. » A titre d’information, une grue a une espérance de vie de 15 à 20 ans.
Des performances incroyables
Percer les secrets de la migration des oiseaux tient en haleine des chercheurs de par le monde. « Depuis que l’on arrive à placer des balises sur les oiseaux migrateurs de petite taille, on découvre des choses hallucinantes. Ainsi, la barge rousse, un petit échassier, part d’Alaska jusqu’en Nouvelle-Zélande, en … une seule étape ! Elle vole pendant 12 jours sans s’arrêter, sans manger, sans boire, sans dormir d’un sommeil complet », poursuit Alain Paquet.
Le monde de la migration aviaire est celui des superlatifs. La sterne arctique réalise pas moins de 70.000 km par an, en reliant les océans Arctique et Antarctique. Des capteurs posés sur des rousseroles turdoïdes, une sorte de fauvette des marais, montrent qu’elles volent à 3000 mètres d’altitude de nuit et jusqu’à 5000 voire 6000 mètres d’altitude durant le jour. Notre explication est qu’elle monte là-haut, où il fait -35°C et où il n’y a quasiment plus d’oxygène, pour lutter contre l’hyperthermie dont elle souffre à force de battre des ailes pendant des heures. »
La bécassine double, un oiseau limicole menacé et très rare, niche en Europe de l’Est et en Suède. Elle rejoint l’Afrique sahélienne en 2 ou 3 étapes de 60 à 90 h de vol chacune. Les capteurs révèlent qu’elle s’élève jusqu’à 8700 m d’altitude !
Modification des comportements migratoires
Suite au bouleversement climatique, certaines espèces partent de plus en plus tard à l’automne et reviennent de plus en plus tôt au printemps. Et parfois, cela se solde par un déphasage avec l’émergence des insectes. « En temps normal, les oiseaux migrateurs reviennent à une certaine date, s’apparient, s’accouplent, pondent des œufs dont l’éclosion correspond à 3-4 jours près à l’émergence des chenilles de phalènes, petits papillons qui pondent par millions dans les arbres. » Or, leurs parents étant revenus plus tôt de migration, les chenilles ne sont pas encore nées et la disette guette rapidement les poussins. C’est le cas de migrateurs au long cours comme les fauvettes et les rousseroles.
Concernant les espèces européennes qui restent en Europe, leurs zones d’hivernage se situent de plus en plus au nord. « Quant aux oiseaux qui traversent le Sahara, ils vont hiverner de plus en plus au sud, au niveau du lac Niger ou du lac Tchad. La désertification et la mise en culture des zones humides en Afrique du Nord, conséquence de l’explosion démographique, de la modernisation de l’agriculture ou encore de la construction de barrage, détruisent les habitats d’hivernage des oiseaux européens. »
Car, en effet, les oiseaux migrateurs ne sont pas menacés que par le réchauffement climatique, mais aussi par la destruction de l’environnement. « Ainsi, en Wallonie, l’habitat de halte migratoire idéal pour les passereaux d’Europe du Nord, ce sont les haies, où ils y restent 5-6 jours pour se nourrir d’insectes et de baies avant de reprendre leur vol. Quand on coupe ces haies, c’est la nourriture dont ces oiseaux ont besoin entre août et octobre-novembre que l’on détruit. En conséquence, ils vont devoir voler plus loin, allonger les étapes, pour trouver à manger et se reposer. »
Chasse d’oiseaux protégés
A ce triste tableau, s’ajoute la chasse aux oiseaux migrateurs, notamment dans le bassin méditerranéen oriental. Si les lois européennes de protection des oiseaux migrateurs ont bien fonctionné, il en est tout autre en dehors des frontières de l’Union. Ainsi, « en Egypte, il y a depuis peu, depuis l’avènement du maréchal Al-Sissi, des centaines de kilomètres de filets sur la plage s’étendant de la Libye à la bande de Gaza pour les piéger. Les tableaux de chasse ont également cours au Proche-Orient, dans les Emirats arabes, au Liban, en Syrie, mais aussi en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro, où des chasseurs, notamment français, flinguent des grues cendrées comme du gibier. »
« Les oiseaux sont un lien écologique entre des écosystèmes très éloignés. Certains nichent dans la toundra arctique puis vont hiverner en Afrique : s’il y a un problème dans la toundra, en Afrique ou sur le trajet entre les deux, c’est toute l’espèce qui est affectée. Les oiseaux migrateurs soulignent le caractère unitaire de la biosphère », conclut Alain Paquet.