Les monstres, une autre image de nous-mêmes

29 octobre 2021
par Raphaël Duboisdenghien
Durée de lecture : 4 min
"Les monstres. De la mythologie à la biologie du développement", par Stéphane Louryan et Nathalie Vanmuyder. Collection L’Académie en poche. VP 7 euros, VN 3,99 euros
« Les monstres. De la mythologie à la biologie du développement », par Stéphane Louryan et Nathalie Vanmuyder. Collection L’Académie en poche. VP 7 euros, VN 3,99 euros

Stéphane Louryan et Nathalie Vanmuyder montrent qu’horreurs et répulsions peuvent se muer en curiosités explicables dans «Les monstres. De la mythologie à la biologie du développement», collection L’Académie en poche.

La peur de l’autre

Chargés de la préservation des collections du Musée d’anatomie et d’embryologie humaines Louis Deroubaix, le responsable et la collaboratrice du Laboratoire d’anatomie, biomécanique et organogenèse (LABO) de l’ULB évoquent des anomalies spectaculaires. Objets de légendes, ces malformations ont impressionné, influencé des auteurs anciens. Nourri et entretenu la peur de l’autre.

«Les spécimens, parfois très anciens, peuvent être étudiés par des techniques nouvelles et nous apporter des connaissances inédites. Ils nous permettent aussi, par un miroir déformant, d’offrir une autre image de nous-mêmes et du règne vivant auquel nous appartenons.»

«Ceci devrait suffire à convaincre d’aucuns qu’ils doivent être conservés et exposés, en une époque où renaissent des visions quelque peu ‘New Age’. Et pour tout dire obscurantistes, pour lesquelles les collections de spécimens humains devraient disparaître de nos musées.»

Un embryon à 2 têtes

Dans la mythologie grecque, Cerbère, un chien à 3 têtes, garde l’entrée des Enfers. Au IVe siècle avant notre ère, le philosophe grec Aristote signale la grande fréquence des monstruosités chez les chèvres et les moutons. Au XVIe siècle, le chirurgien français Ambroise Paré observe cette anomalie chez un agneau.

«Sans qu’on ne puisse produire de statistique, cette famille d’anomalies connaît une fréquence relativement significative chez les chèvres, les moutons et les porcs», expliquent les anthropologues. «Une toxine végétale, la cyclopamine, présente dans une plante connue sous le nom de vérâtre de Californie, est connue pour générer des holoprosencéphalies (malformations cérébrales) dans le bétail qui la consomme.»

«Depuis la découverte d’une protéine fort justement appelée Cerberus, certains auteurs postulent l’existence d’un centre organisateur propre à la tête, dont cette molécule serait le moyen de signalisation. L’injection d’ARN messager de Cerberus génère un embryon à deux têtes.»

Des inséparables au Siam

Le terme «siamois» remonte aux frères fusionnés Chang et Eng nés en 1811 au Siam, l’actuelle Thaïlande. Une anomalie qui existe aussi chez d’autres mammifères.

«Les jumeaux conjoints ne sont rien d’autre qu’une forme particulière de gémellité monozygotique (un seul ovocyte fécondé par un seul spermatozoïde), de type monochorial (un seul placenta) et monoamniotique», précisent les chercheurs.

«Dans l’espèce humaine, la capacité de séparer chirurgicalement les jumeaux conjoints dépend de l’étendue et de l’étroitesse de leur union. Et surtout de l’éventuel partage d’organes internes, lequel rend la scission quasi impossible. La mortalité de ce type d’entreprise est assez élevée. De manière générale, la constatation prénatale de ce type de grossesse impose une décision d’interruption de celle-ci.»

La culture scientifique se réveille

Au XVe siècle, dans «Le marteau des sorcières», les inquisiteurs allemands Heinrich Kramer et Jacob Sprenger racontent qu’une femme, touchée par une sorcière, a accouché d’un enfant monstrueux. Pour les scientifiques, «le caractère culpabilisateur de la mentalité chrétienne et sa vision fortement réductrice de la femme ont contribué à faire des naissances malformatives des preuves de commerce avec le diable. De l’impureté de la mère.»

Le réveil de la culture scientifique crée des cabinets de curiosités. «L’essor de ces cabinets au XVIIIe siècle a généralisé la collecte de spécimens humains ou animaux affectés de malformations congénitales sous forme de matériel squelettique ou de spécimens plus complets conservés en milieu liquide, alcool ou formaldéhyde», notent le conférencier au Collège Belgique et la maître-assistante à la Haute École Francisco Ferrer de la Ville de Bruxelles.

«Beaucoup de naturalistes amateurs, de mécènes fortunés, de gentilshommes éclairés ont servi la science en conservant ce type de spécimens. Nombre de ces cabinets ont été progressivement intégrés dans les muséums d’histoire naturelle. Et sont passés du statut d’objets de curiosité à celui de matériel scientifique.»

Sur le campus de l’hôpital universitaire Érasme à Bruxelles, des spécimens présentés dans le livre sont visibles au Musée d’anatomie et d’embryologie humaines portant le nom du médecin Louis Deroubaix, professeur à l’ULB en 1841. Des pièces fœtales, des moulages, des documents iconographiques éclairent le développement humain.

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