Dès 3000 ans avant notre ère, c’est l’époque fastueuse des pharaons. Décorateurs de tombes, peintres de père en fils, membres de la strate supérieure de la classe moyenne, les artistes sont des personnages clés dans l’Egypte Ancienne. Et pourtant, bien peu d’entre eux ont clairement signé leurs œuvres. « Je veux prouver qu’on peut les distinguer les uns des autres et les suivre d’ œuvre en œuvre comme on le ferait avec Michel-Ange. Ce qui m’importe, c’est la façon qu’a chaque peintre de faire son trait», énonce Pr Dimitri Laboury, égyptologue et historien de l’art à l’ULiège, et maître de recherche FNRS.
La peinture est vue de façon dynamique
Pour ce faire, il exploite des techniques d’histoire de l’art regroupées sous l’appellation d’archéologie expérimentale. De la même façon qu’un site de fouille est un savant mille-feuille, une peinture est une stratigraphie. Elle est le fruit de recouvrements.
« Avec une lumière rasante, le relief de la peinture apparaît. On voit alors comment les couches se superposent les unes par rapport aux autres. Grâce à cela, je peux suivre la séquence de gestes posés par l’artiste. Et identifier ses tics, qui sont comme sa signature », poursuit-il.
Dans le système préindustriel de l’Egypte Ancienne, l’apprentissage de la peinture se faisait par compagnonnage. Parmi les hiéroglyphes, il est possible de déceler qu’un disciple a tenté d’imiter son maître. « Cela se voit, lorsqu’il recopie un usage inhabituel de son maître, par exemple un plumage particulier pour un cormoran, mais en dessinant mal le cou de l’oiseau. »
Le big data à la rescousse
« Les séquences de gestes sont trop complexes pour que deux peintres professionnels fassent identiquement les mêmes. Pour les distinguer, il faut pointer leurs différences. En les combinant, grâce au big data, on arrive à déterminer quelle zone a été peinte par quel peintre », explique le Pr Laboury.
Et de préciser, « actuellement, nous avons 271 gigaoctets d’informations émanant de tombes égyptiennes. Cela nous confère une base statistique suffisante permettant de distinguer ce qui est spécifique et ce qui est collectif dans les peintures. »
Deux stratégies différentes
Située sur la rive gauche du Nil, face à l’actuelle ville de Louqsor, la nécropole thébaine est l’une des plus importe d’Egypte. Elle abrite des tombes de pharaons et de l’élite du Nouvel Empire. Près de 400 tombes y ont été répertoriées. Voilà quelques années, l’ULiège a obtenu la concession de deux d’entre elles. Deux tombes contemporaines de cousins.
« Tous deux sont au sommet de la hiérarchie et ont fait construire leur propre tombe en même temps. C’est qui est intéressant, c’est de voir comment ils ont développé leur stratégie artistique pour réaliser le monument funéraire à leur gloire. »
« L’un était fort ancré dans le territoire tandis l’autre cousin était souvent parti. Celui-ci a opté pour un peintre très moderne tandis que le premier a préféré programmer l’entièreté du schéma décoratif avant les travaux. Cela lui a permis d’avoir un travail continu, certainement avec la succession d’une dizaine de peintres tandis que l’autre cousin était tributaire des disponibilités de l’unique maître qu’il avait choisi », explique l’historien de l’art.
Visualisation des fouilles en 3D
En Egypte, la poussière est omniprésente et s’insinue dans le moindre interstice. Dans de telles conditions, les archéologues liégeois ne se risquent pas à prendre leur ordinateur portable sur le site de fouilles. Pour lever un coin du voile qui recouvre les vieilles pierres décorées, ils optent pour le bon vieux duo papier-crayon. Et usent des compétences technologiques d’un architecte.
Féru d’archéologie, Pierre Hallot, chercheur au sein de l’unité de géomatique de l’ULiège et professeur à la faculté d’architecture, travaille avec le Pr Laboury sur un système d’information géographique (SIG) permettant de reconstituer numériquement les fouilles en 3D et d’en faire ressortir des informations.
L’analyse des œuvres est facilitée par la 3D
Les deux tombes de la nécropole thébaine ont quasiment quatre mètres sous plafond. Une matinée de lasergrammétrie, méthode scannant et photographiant le site en même temps, a permis d’en générer un modèle 3D.
« La couverture photo est meilleure que 1:1 : on peut zoomer davantage sur la paroi que si on avait l’œil dessus. Aussi, on peut aisément se balader à n’importe quelle hauteur, ce qui est impossible dans l’espace physique. L’étude de la décoration en est facilitée, ainsi que la comparaison entre des motifs similaires qui pourrait mener à l’identification de peintres différents. Le recours à cette technologie nous permet clairement d’aller plus loin dans notre recherche », conclut le Pr Laboury.