Telle une truffe de chien, un prototype de nez électronique reniflant les cancers broncho-pulmonaires a été créé par l’équipe pluridisciplinaire et transfrontalière du projet PATHACOV. D’ici quelques années, cette technologie, dont le développement a été soutenu par une subvention INTERREG France-Wallonie-Vlaanderen, devrait permettre de les dépister précocement, et de façon non-invasive, simplement en analysant les composés organiques volatils (COVs) dans l’air exhalé des patients.
Odeurs métaboliques
Concrètement, le patient souffle dans un nez en plastique, relié à une machine transparente garnie de capteurs gazeux prêts à détecter des molécules particulières présentes dans l’haleine. « Toutes les cellules humaines libèrent des composés organiques volatils (COVs). Lorsqu’un organe devient cancéreux, les COVs libérés sont différents de ceux émis par un organe sain. On parle de la signature moléculaire d’une maladie », explique Dr Régis Matran, pneumologue au CHU de Lille.
Pour développer cette technologie, le consortium coordonné par le CHU de Lille a rassemblé 11 partenaires français et belges (universités de Liège, de Mons et de Leuven ainsi que l’institut wallon Materia Nova) aux compétences variées : des cliniciens, des chimistes, des ingénieurs en développement de capteurs, des spécialistes de l’intelligence artificielle et du traitement statistique des données.
Identification des COVs
En vue de construire le nez artificiel, il a tout d’abord fallu identifier les biomarqueurs du cancer du poumon dans l’haleine. Pour ce faire, Justin Martin, doctorant au sein du Laboratoire Sensing of Atmospheres and Monitoring de l’ULiège, a réalisé une analyse de littérature exhaustive des analyses faites par TD-GC-MS (Thermo-Desorption Gas Chromatography Mass Spectrometry ).
« Depuis le milieu des années 1980, des analyses de COVs liés au cancer du poumon ont été publiées. Les COVs repris comme discriminants ont été retenus, et classés par nombre de publications dans lesquelles ils sont cités. Une liste de 280 composés est sortie de cet exercice. De celle-ci, ont été sélectionnés ceux qui ont le plus de pertinence. C’est-à-dire les plus fréquents, mais pas que. En effet, on a aussi regardé le nombre de personnes échantillonnées, ce qui donne une idée de la puissance statistique derrière chaque travail analysé. Les facteurs confondants, c’est-à-dire si certains composés sont liés à la présence d’un rinçage de bouche au préalable, au tabagisme, à des comorbidités, ont été également été examinés », explique le chercheur.
Finalement, les composés les plus pertinents ont été retenus. «D’après les expériences menées par le passé, il est fort probable qu’il y ait plusieurs marqueurs du cancer du poumon, donnant ensemble une sorte d’empreinte de la maladie. »
Bientôt les premiers résultats cliniques
En parallèle de l’analyse de littérature, une étude à grande échelle est menée depuis 2018 par les hôpitaux du nord de la France. Une cohorte de 750 patients sains, aussi appelés témoins, composée de 250 fumeurs, de 250 ex-fumeurs et de 250 non-fumeurs, a été recrutée grâce à l’Institut Pasteur de Lille. A cela s’ajoutent 500 patients atteints d’un cancer broncho-pulmonaire recrutés au CHU de Lille et dans d’autres hôpitaux publics du Nord de la France. Le recrutement va continuer jusqu’à atteindre 750 patients malades, voire davantage.
« De quoi avoir une puissance statistique supérieure à celle des petites études publiées dans la littérature », se réjouit Justin Martin.
L’épidémie de Covid-19, rendant impossible la collecte d’haleines, a causé du retard dans la progression de cette étude titanesque. Cela n’empêche, de premiers résultats sont attendus dans les premiers mois de 2023.
Haleines artificielles
Cette étude clinique permettra de valider le prototype de nez artificiel.
L’engin est composé de plusieurs capteurs à gaz composés d’oxydes métalliques capables de détecter des COVs présents en trace, de l’ordre du ppb (part par million). Ils donnent alors un signal en fonction de leur affinité et de la composition de l’haleine.
« Parmi les capteurs détectant les biomarqueurs du cancer, il a fallu sélectionner les meilleurs. Afin de concevoir le meilleur prototype et donc d’avoir le meilleur diagnostic. » Une matrice électronique a été spécifiquement développée pour traiter le signal transmis par les capteurs et analyser le résultat, grâce à des algorithmes d’apprentissage, pour enfin retranscrire un résultat d’évaluation du risque de présence d’un cancer broncho-pulmonaire.
Pour tester le nez, Justin Martin lui a fait renifler des haleines artificielles. « Au début, c’était juste un mélange gazeux : de l’air analytique avec des composés biomarqueurs identifiés dans la littérature, mais ce n’était pas assez proche d’un milieu complexe et humide comme l’haleine. On a alors collecté des haleines réelles de volontaires sur le campus, que l’on a soit mesurées telles quelles, soit améliorées avec des COVs issus de la littérature. »
« Cette expérience a permis de voir comment les différents capteurs réagissaient aux biomarqueurs du cancer, ainsi qu’aux autres molécules composant l’haleine. Mais aussi de tester la résolution de l’appareil, c’est-à-dire sa capacité à faire la différence entre une haleine et la même haleine avec quelques COVs d’intérêt en trace. Plus la résolution est élevée, plus le nez est à même de pouvoir détecter la maladie.»
« Lorsque l’on aura accès aux résultats de l’étude clinique, la composition de l’haleine d’un patient sera comparée aux empreintes d’haleine d’autres personnes déjà enregistrées. Et ce, afin de dire si elle ressemble ou pas à celle d’une personne avec un cancer broncho-pulmonaire. En cas de réponse positive, le patient sera amené à réaliser un dépistage par scanner et d’autres examens complémentaires. »
Détection précoce
Une autre prochaine étape est de miniaturiser la technologie afin de la rendre plus facilement transportable, moins onéreuse, et de faciliter sa future utilisation.
Notamment dans les cabinets de consultation médicale généraliste, où l’usage du nez permettrait de dépister de façon non-invasive et précocement, avant l’apparition des premières douleurs et autres symptômes caractéristiques, des patients à risque.
« Attention qu’il s’agit d’une méthode de screening, elle ne vise pas à remplacer les méthodes diagnostiques. L’idée est d’indiquer au patient s’il est préférable de faire un examen plus poussé ou pas. La réponse au test sera assez simple, comme celle d’un test colorimétrique. »
L’espérance de vie d’un patient diagnostiqué d’un cancer broncho-pulmonaire au stade précoce est de 90% à 5 ans, contre moins de 20% lorsqu’il l’est tardivement. Cette nouvelle technologie sauverait de nombreuses vies.