L’univers des gamers rejoint la réalité

30 mars 2017
par Elise Dubuisson
Durée de lecture : 4 min

Lorsque dans les années 2000, Olivier Servais, enseignant-chercheur au Laboratoire d’Anthropologie Prospective de l’UCL, réalise que plusieurs étudiants – et pas les moins bons – jouent sur leur ordinateur tout en suivant assidument son cours, il réalise que le monde des joueurs peut être un fabuleux microcosme à étudier. Ces gamers, comme on les appelle, sont-ils en dehors de la réalité ? Ont-ils des difficultés à sociabiliser ? Ou ne s’agit-il finalement que de stéréotypes…

 

Direction World of Warcraft

 
Pour mieux les cerner, le chercheur s’est plongé dans l’un des jeux en ligne les plus célèbres : World of Warcraft. « J’ai commencé par jouer comme le ferait un joueur lambda, j’ai observé les codes culturels, le graphisme, les autres joueurs… Et j’y ai découvert une réelle société virtuelle où certains codes sont différents et certains sont les mêmes », explique-t-il.

 

Alors que nombreux sont ceux qui parlent d’addiction puisque près de la moitié des amateurs de ce jeux y jouaient quotidiennement et ce pendant plusieurs heures, Olivier Servais pense plutôt que c’est l’aspect social, justement, de ce jeu qui pousse à y revenir très régulièrement. 

 

« Chaque joueur dispose d’un avatar qui doit survivre et se développer en partie grâce au concours d’autres joueurs. Les actes posés dans le jeu ont tantôt des conséquences immédiates, tantôt des conséquences à long terme sur le jeu. Et ce s’agissant des actes posés par tous les joueurs : chacun influence donc son jeu et celui des autres. On ne joue pas seul et uniquement pour soi. Je ne parlerai dès lors d’addiction que lorsque le jeu devient la seule ou en tout cas la première activité sociale du joueur. Au détriment du travail, des études et de la vie sociale ».

 

Décès & mariages

 
Après cette phase de reconnaissance, le chercheur s’est focalisé sur un certain nombre de rites émergeant du terrain, dont celle des cérémonies. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître pour qui ne connaît pas l’univers des jeux vidéos, il n’est pas uniquement question de jeu dans World of Warcraft. Les interactions en ligne entre joueurs sont telles que lorsque l’un d’entre eux décède, une cérémonie est parfois organisée au sein même du jeu.

 

« Quand on joue 6 à 7 heures par jour avec quelqu’un, il est logique d’être affectée par son décès. Même s’ils ne se voient pas « en vrai », les joueurs sont liés. » Des cérémonies qui sont d’ailleurs similaires à celles organisées traditionnellement : attente des participants sur le lieu du rite, temps de recueillement collectif organisé dans une file d’attente vers l’avatar du disparu et succession de moments individualisés d’hommage face au corps virtuel de l’avatar du défunt.

 

Dans une perspective plus réjouissante, l’autre rite qui s’invite fréquemment dans ce jeu n’est autre que le mariage.

 

« C’est fascinant de voir ce qui se recoupe avec la réalité. J’ai étudié une centaine de mariages, des unions dont la nature et la célébration demeurent assez traditionnelles : les avatars mariés le sont essentiellement à deux, hétérosexuels et du même groupe. Les exceptions à ce schéma sont peu nombreuses. La mariée porte une robe spéciale, comme lors d’un mariage classique.»

 

Un choix réfléchi
 

Enfin, à force de rencontres et de discussions avec des gamers, Olivier Servais précise que parmi les plus assidus d’entre eux souvent montrés du doigt négativement, certains ont fait le choix de cette vie virtuelle. « Ils ont réellement choisi de sortir de la société.

 

Notamment parce que leurs valeurs sont plus en phase avec celles du jeu que celles de la vie réelle. Ou parce que la société actuelle les a déçus et qu’ils ne s’y retrouvent pas. Cela peut donc aussi être un choix assumé, argumenté et pas le résultat d’une fascination excessive qui leur fait perdre la notion de réalité. On peut d’un certain point de vue les apparenter à des ermites du 21e siècle », conclut le chercheur.

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