Daniel Droixhe se penche sur les consilia médicaux. Des écrits rédigés par des médecins pour leurs patients. Dans «Alimentation et maladie», édité par l’Académie royale de Belgique, le professeur émérite de l’ULB décrit des maladies discutées en Italie à la Renaissance. Le chercheur les associe à des régimes alimentaires.
Selon les médecins grecs Hippocrate et Galien
Une littérature de consilia se développe dès le dernier tiers du XIIIe siècle. Elle fleurit à Padoue où se développe la première des facultés médicales d’Europe. Giovanni Battista Da Monte (1489-1551), médecin et enseignant à l’Université de Padoue, conseille aux ouvriers des mines et aux aristocrates souffrant de sciatique d’éviter les pâtes, les produits laitiers, les légumes et les «vieilles viandes».
«Cet avis tenait notamment compte des six différentes causes dites non naturelles qui, selon la tradition d’Hippocrate et de Galien, intervenaient dans l’explication de l’affection», précise le chercheur qui a enseigné l’histoire de la langue française, la littérature wallonne et picarde à l’ULB et à l’ULiège. «La présente enquête comporte d’importantes zones d’ombre et ne constitue qu’un essai très approximatif en vue de suggérer le traitement prospectif de quelques champs souvent choisis arbitrairement. Je me suis conformé autant que possible aux exigences d’une publication à destination du grand public.»
Trois maladies redoutées
«Plusieurs maladies qui nous sont aujourd’hui familières étaient présentes, du moins à un certain degré, à la Renaissance», ajoute Daniel Droixhe soutenu dans ses recherches par le cancérologue français Jacques Rouëssé, membre de l’Académie nationale de médecine. Les plus redoutées? Le cancer. L’hydropisie, terme désuet pour désigner un important œdème avec épanchement séreux dans une cavité du corps et dans les membres inférieurs. La consomption: l’amaigrissement et le dépérissement progressifs.
Selon les médecins de l’époque, lutter contre le cancer inclut le recours à des aliments qui n’accroissent pas «le feu» ou «l’incendie» allumé par le «virus cancéreux». Leurs conseils: consommer les viandes de chevreaux, de jeunes moutons et de veau à la mamelle. S’abstenir des viandes rouges productrices de bile noire. Hippocrate avait écrit qu’«il vaut mieux ne pas chercher à guérir les cancers occultes. Ceux que l’on traite sont plus promptement mortels. Ceux qu’on livre à eux-mêmes laissent vivre plus longtemps.»
Se méfier des poissons
Écrivant le plus souvent pour des gens aisés, Giovanni Battista Da Monte détaille comment les malades doivent consommer les viandes des quadrupèdes. Le praticien conseille au cardinal Bembo, souffrant de goutte et de pierres au rein, d’éviter les aliments qui procurent une nourriture épaisse, grasse et «adipeuse», contenant principalement des lipides. Comme les viandes de bœuf, porc, cerf, sanglier. Cet avis vaut aussi pour Guillaume IV, duc de Bavière, menacé d’apoplexie. La viande rouge est déconseillée si le malade présente des signes de mélancolie hypocondriaque. S’il souffre d’une affection de la vessie et des reins. Ou de maux de tête qui rendent insupportable le lit conjugal.
Le médecin padouan suit scrupuleusement Galien influencé par Hippocrate. «Il prescrit à un épileptique de se méfier de tout type de poissons», relève le membre de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique. «Particulièrement de ceux qui viennent des marais, des anguilles et encore des tanches. Un patient victime d’AVC fera de même.»
Da Monte refuse le poisson à un patient souffrant de cataracte. Les barbeaux, crabes ou écrevisses, «ont la propriété de nuire aux yeux». Le praticien prescrit du «bon pain, bien fermenté». Cette recommandation est aussi destinée au cardinal Navagerius et à un jeune sicilien qui a du sable dans les reins. Elle s’applique également à une jeune épileptique.
Les produits laitiers à l’index
Les produits laitiers sont souvent exclus des tables des malades. Pour Da Monte, c’est le cas lors du traitement de l’épilepsie, du rhume de cerveau, des maux de tête, des calculs, d’un polype aux narines tendant vers le cancer.
Interdiction pour un adolescent de Bologne qui crache du sang de consommer des œufs durs. Et à un malade qui présente une ulcération de la lèvre avec disposition au cancer.
Des mouvements d’abstinence traversent les siècles… «La privation du pain de blé ou des raffinements de la volaille peut relever d’une contrainte économique et sociale», observe le Pr Droixhe. «Elle peut aussi prendre la forme d’un choix religieux, d’une attitude philosophique, voire d’un repli plus général face à des circonstances qui imposent à l’homme une révision de son mode d’existence. Le confinement en cas de pandémie en offre éventuellement l’occasion.»