Robert-le-diable (Polygonia c-album) © Derouaux Antoine

Des papillons qui brillent par leur absence

30 août 2023
par Camille Stassart
Durée de lecture : 5 min

Quelque 51.479 papillons de 53 espèces différentes ont été observés lors de l’opération organisée cet été par Natagora. Depuis 2006, l’ASBL de protection de l’environnement active en Wallonie et à Bruxelles invite les citoyens à identifier et compter les papillons de jour qui visitent leur jardin durant le mois de juillet.
Ce recensement annuel offre une photographie utile de l’état des populations de ce groupe d’insectes dans nos régions. Le principal constat de l’édition 2023 est que peu de papillons ont pu être aperçus. Si cette absence peut être attribuée, en partie, à la météo capricieuse des derniers mois, une tendance à la baisse des effectifs se note au fil des années.

Vulcain © Sandrine Maon

Un garde-manger réduit par la sécheresse printanière

Un mois avant de début de la campagne « Devine qui papillonne au jardin », Natuurpunt, l’homologue flamand de Natagora, annonçait que peu de papillons avaient été détectés au printemps. Classant le printemps 2023 comme le pire – après 2021 – des 15 dernières années pour les papillons en Flandre. La faute à la sécheresse.

Indice du nombre total de papillons en Flandre pour la période du 1er avril au 20 mai basé sur Observations.be © Natuurpunt

De fait, aucune précipitation n’est tombée entre le 16 mai et 16 juin à Uccle, ce qui en fait la 2e plus longue période de sécheresse enregistrée depuis 1892. Un manque de pluie qui a impacté la flore, réduisant ainsi la disponibilité en nectar de fleurs dont se nourrissent les papillons, ainsi qu’en végétaux consommés par leurs chenilles.

« Les chenilles se nourrissent des feuilles (parfois des boutons floraux) de la plante hôte qui l’accueille. En cas de canicule printanière, ce sont elles qui sont impactées », rappelle Vincent Louwette, entomologiste et animateur pour le Réseau Nature de Natagora. « Les chenilles des papillons des prairies, par exemple, se nourrissent de graminées. Avec l’assèchement de leur milieu ce printemps, elles n’ont pas dû trouver beaucoup de nourriture.»

Damier de la Succise (Euphydryas aurinia) © Barbier Yvan

Des espèces rares comme le Damier de la succise ou le Cuivré de la bistorte ont davantage réussi à tirer leur épingle du jeu au printemps, étant inféodés à des milieux humides. « Ceux-ci s’assèchent, en effet, moins vite en cas de forte chaleur. Mais ces zones humides disparaissent de plus en plus… C’est d’ailleurs pour cette raison que ces espèces sont aujourd’hui considérées comme rares. »

Cuivré de la bistorte © Hubert Baltus

Plus d’une espèce de papillon sur deux menacées de disparition en Belgique

En juillet, la pluie a permis un certain rétablissement de la végétation, et donc des papillons. Mais leur retour a été limité par les faibles températures et les précipitations importantes au cours du mois, qualifié d’humide et de plutôt sombre par l’IRM. De poids léger, les papillons ne peuvent pas lutter contre une pluie continue. Qui plus est, étant des animaux à sang froid, ils sont incapables de voler sans soleil pour élever leur température corporelle, laquelle est indispensable pour actionner leurs muscles, et par là leurs ailes.

Mais le mauvais temps n’est pas le seul à blâmer. « Si les aléas de la météo provoquent chaque année des fluctuations dans le nombre de papillons observés lors du recensement, on remarque quand même depuis plusieurs années une tendance à la baisse », fait savoir Vincent Louwette. Même son de cloche du côté de Natuurpunt : les données concernant le nombre de papillons repérés en Flandre depuis 2009 montrent une tendance assez négative.

D’après le dernier inventaire mondial de l’état de conservation des papillons, 59% des espèces en Wallonie sont aujourd’hui menacées ou éteintes (59 espèces sur 100, décomptant 18 espèces non-évaluées). En Flandre, cette proportion s’élève à 63% (44 espèces sur 70, décomptant 3 espèces non-évaluées).

Chenille de Myrtil (Maniola jurtina), un papillon de prairie © San Martin Gilles

Vive les orties !

Le principal facteur du déclin des papillons étant la perte de leur milieu, les citoyens peuvent contribuer à lutter contre leur disparition en rendant leur jardin le plus accueillant possible. « C’est d’ailleurs l’un des objectifs de l’initiative de recensement. En constatant la présence ou l’absence de papillons, les particuliers peuvent aussi se rendre compte de la qualité d’habitat que constitue leur jardin. »

Pour améliorer ces espaces verts, Natagora fournit de nombreuses pistes aux jardiniers, comme éviter d’utiliser des pesticides chimiques ou encore d’arracher systématiquement les « mauvaises herbes », telles que les orties, qui sont les plantes hôtes de nombreux papillons communs, comme le Paon du jour, le Robert-le-diable, ou encore le Vulcain. Il peut aussi être intéressant de semer des fleurs mellifères indigènes, de même qu’installer un compost, un abri potentiel pour les chenilles et chrysalides.

« Mais la meilleure des choses à faire est encore… de ne rien faire ! C’est-à-dire de laisser des espaces « libres » dans son jardin, non tondus, qui seront naturellement colonisés par des espèces sauvages indigènes. L’idée est de se laisser surprendre par la spontanéité de la nature », conclut Vincent Louwette.

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