Série : Sea, research & sun (3/6)
Et une espèce invasive de plus. Huit longues pattes, carnivore, cette Pycgonide, cousine éloignée des araignées terrestres, apprécie les brise-lames de la mer du Nord. Elle a été identifiée pour la première fois à Knokke en 2022 par le Laboratoire de biologie des organismes marins et biomimétisme de l’UMons. Elle répond au nom Ammothea hilgendorfi. « C’est un arthropode « primitif » d’un point de vue évolutif, extrêmement ancien. Il s’agit quasiment d’un fossile vivant », explique Antoine Flandroit qui consacre ses 4 années de thèse à la compréhension écologique de la bestiole.
C’est en 1978, dans le sud de l’Angleterre, que ce Pycgonide a été découvert pour la première fois en Europe. D’une taille avoisinant les 25 mm, il est originaire du nord de l’Océan Pacifique. En 1983, des scientifiques alertent sur sa présence dans la lagune de Venise. En 2013, l’espèce est signalée aux Pays-Bas. Dès 2019, elle est retrouvée en Bretagne. Trois ans plus tard, une population très dense était découverte à Knokke, une première en Belgique.
Les Pycgonides indigènes décimées
Pour qu’une espèce étrangère soit qualifiée d’invasive, il faut qu’elle parvienne à réaliser l’entièreté de son cycle de vie dans la zone colonisée. Elle doit donc s’y reproduire et ses œufs doivent réussir à se développer en individus adultes. De plus, l’adjectif invasif sous-entend que la nouvelle population établie s’étend de plus en plus loin. Et que sa densité croit tant que l’espèce devient dominante dans l’écosystème.
« C’est ce qui s’est passé à Knokke. La côte belge compte 3 espèces de Pycgonides indigènes. Mais lors de mes relevés, je n’en trouve quasiment plus : l’une est totalement absente et les deux autres ne sont représentées que par quelques individus. 97 % des Pycgonides, que je repère dans le cadre du suivi des populations que je réalise depuis 2 ans, sont des individus appartenant à l’espèce invasive : celle-ci est clairement devenue dominante dans cet écosystème », explique le jeune chercheur qui a commencé à travailler sur le sujet en février 2022.
Une étude exhaustive
La planète compte quelque 1400 espèces de Pycgonides. Toutes sont marines. On les retrouve dans tous les milieux, des abysses aux liserais côtiers, des milieux polaires aux régions tropicales. De par le monde, seule Ammothea hilgendorfi a été répertoriée comme invasive.
« Pour qu’une espèce devienne invasive, elle a généralement la capacité de supporter un large spectre de température, de salinité, etc. Je vais caractériser les conditions environnementales auxquelles cette espèce peut résister. Et ce, dans le but d’évaluer si elle a le potentiel de s’étendre. Et jusqu’où. »
Dès début décembre de cette année, Antoine Flandroit investiguera la présence de l’animal dans chaque ville de la côte belge. Il remontera aussi l’estuaire de l’Escaut pour voir si l’espèce invasive a trouvé une façon de s’adapter à des conditions moins salines. « Le site où on a découvert les Pycgonides invasives à Knokke est assez proche de l’estuaire de l’Escaut. La salinité y est un peu plus basse que l’eau de mer classique. Cela ne me surprendrait pas que l’espèce parvienne à survivre à des salinités assez faibles. »
« En parallèle, je tente aussi de comprendre quel est l’impact d’Ammothea hilgendorfi sur l’écosystème. C’est-à-dire sur les espèces de Pycnogonides indigènes, mais aussi, car c’est une prédatrice, sur ses proies, telles que les anémones fixées sur les brise-lames. »
Invasions en cascade
« Je balaie différentes sous-questions. Par exemple, quand on compare la carte de distribution européenne de Ammothea hilgendorfi et de l’huître japonaise, également espèce invasive, on se rend compte que les deux se superposent. Je suspecte dès lors que ces Pycnogonides soient arrivés par le commerce international d’huîtres », poursuit Antoine Flandroit.
« Afin de tester cette hypothèse, je vais recourir à la génétique des populations. Pour ce faire, je vais aller collecter des individus Ammothea hilgendorfi dans différents endroits de la planète. Et, en séquençant certains gènes précis, j’espère pouvoir cartographier l’historique de leur invasion. Mais aussi identifier la population dont ce Pycgonide invasif est issue, déterminer si les populations sont interconnectées, etc. »
« Ensuite, je comparerai mes résultats avec ceux qui existent déjà sur l’huître japonaise afin de déterminer si les deux historiques d’invasion coïncident. »