Voilà 125 ans, Adrien de Gerlache larguait les amarres au Port d’Anvers. Cap sur l’Antarctique, qui était alors une terra incognita sur les cartes du monde. « Aujourd’hui aussi, nous sommes face à un territoire inconnu : il s’agit de notre futur avec les changements climatiques. Et nous pouvons nous inspirer de l’expédition de la Belgica, et de la façon dont ses hommes ont géré le terrible hivernage afin de survivre », expliquent Jill Peeters, géographe et ancienne présentatrice météo à la VTM, et Henri de Gerlache, arrière-petit-fils du célèbre officier de marine belge. De concert avec la Fondation Roi Baudouin, ils ont mis sur pied l’exposition « A la recherche de la fin du monde. Une expédition climatique à bord de la Belgica », à découvrir au Musée Belvue.
Une expédition risquée
A 31 ans, après deux années épuisantes à courir les financements, Adrien de Gerlache était parvenu à mettre sur pied la première expédition purement scientifique à mener sur le continent blanc. A bord de son bateau, il avait rassemblé la crème des savants internationaux en matière de météorologie, de zoologie, de glaciologie, de magnétisme terrestre.
« Sur le pont du navire, un abri avait été fabriqué afin d’héberger les laboratoires de recherche animale et océanique. Grâce aux fonds rassemblés, ils étaient munis des instruments nécessaires pour mener des études approfondies », explique Henri de Gerlache, auteur, réalisateur et producteur de documentaires.
Ces hommes, tant les marins que les scientifiques, étaient originaires de six pays différents. Ils entreprirent cette expédition scientifique pionnière sans la moindre velléité territoriale ou mercantile, ce qui constituait également une première.
Le 4 mars 1898, la Belgica se retrouva prisonnière des glaces. Ancien baleinier norvégien de 34 mètres de long, le navire était plutôt petit et menu. Cette légèreté lui évita d’être broyé par un épais corset de glace. Cet hivernage forcé dura près d’un an. Aux prises avec les glaces et avec eux-mêmes, confrontés à des épreuves physiques inimaginables, les hommes durent inventer comment survivre au jour le jour face à l’inconnu. Ils se désespérèrent, mais se montrèrent aussi d’une inventivité inouïe. Pour pallier le dangereux amenuisement des denrées, le Dr Frederick Cook, médecin de bord, incita notamment l’équipage à manger la viande crue du manchot Adélie, au goût, paraît-il, épouvantable.
Au quotidien, la persévérance et la coopération payèrent : les hommes échappèrent de justesse à un second hivernage dans les glaces antarctiques, qui aurait pu leur être fatal.
Des découvertes toujours d’actualité
Prise dans les glaces durant presque un an, la Belgica a subi une dérive de 10 à 15 km par jour. Si bien qu’elle a fini par atteindre, pour la première fois de l’histoire humaine, le point le plus au sud de notre planète.
Au final, l’expédition fut une réussite. L’hivernage inattendu de l’équipage déboucha sur une foule d’observations et de découvertes scientifiques. « Outre les comptes-rendus, croquis, échantillons et spécimens, la première étude d’envergure de l’Antarctique permit la parution de 92 publications scientifiques, en 9 volumes, sur une période de … 40 ans. Et ramena également de précieux clichés de paysages inconnus », mentionne l’exposition.
Aujourd’hui, les résultats scientifiques issus de cette expédition pionnière servent à mesurer la dégradation climatique.
Des changements préoccupants
« Depuis l’expédition de la Belgica, soit depuis 125 ans, la température moyenne sur Terre a augmenté de 1,1°C. Cela implique un réchauffement de l’air, mais également de l’eau des océans avec comme conséquences des modifications chimiques problématiques et des effets délétères sur la faune et la flore marines», explique Jill Peeters.
« L’Antarctique découverte par l’équipage de la Belgica n’est plus le même continent aujourd’hui : la calotte glaciaire fond impliquant des effets en cascade sur le climat et les océans, certaines espèces animales sont menacées d’extinction… De même, notre planète se heurte à ses limites. L’extraction et l’exploitation des ressources naturelles provoquent d’importants dérèglements climatiques. L’exposition prend le pouls d’une planète à bout de souffle qui confronte l’humanité au défi de sa propre survie. »
Dans la dernière salle, une structure rappelle une cloche sous-marine. Le public s’y voit proposer des actions concrètes à mener au quotidien pour espérer offrir à l’humanité de nouvelles perspectives.