Orque dans l'Arctique norvégien © Cathy Debier

La santé des orques et baleines à bosse sous haute surveillance

31 mars 2025
par Laetitia Theunis
Temps de lecture : 5 minutes

Les mammifères marins sont fortement contaminés par différents polluants, mais les effets de cette contamination sur leur santé restent peu connus. Afin d’éclaircir cette situation, la Pre Cathy Debier, chercheuse au Louvain Institute of Biomolecular Science and Technology, se penche sur les tissus adipeux sous-cutanés de ces animaux.

En novembre 2024, grâce à des flèches creuses équipées d’un flotteur, des biopsies ont été effectuées depuis un zodiac sur vingt-cinq orques et une quinzaine de baleines à bosse dans les eaux du Grand Nord norvégien. La flèche rebondit instantanément sur l’animal et retombe dans l’eau, permettant ainsi de prélever un petit échantillon de peau et de graisse. Les prélèvements mesuraient au maximum 6 millimètres de diamètre et 3 à 5 centimètres de profondeur.

Garder du tissu en vie

« Une fois la biopsie faite, c’est une course contre la montre qui s’enclenche. Quand le tissu est prélevé, il tombe, avec la flèche et le flotteur, dans de l’eau salée à 4 degrés. On doit le récupérer le plus vite possible et le transférer en maximum une minute et trente secondes dans un milieu de culture à 20°C. Et ce, afin de le maintenir en vie », explique Pre Debier.

Sur le terrain, en Arctique norvégien, l’équipe de recherche a dû, à plusieurs reprises, confier ses précieux thermos à des touristes sur des bateaux de « whale watching » afin de les ramener rapidement jusqu’en ville à Tromsø. Là, d’autres collègues ont pris la relève . Et, chrono en main, ont démarré le travail de laboratoire.

«Les échantillons y ont été coupés, stérilement, en tranches de précision d’un millimètre d’épaisseur (ce qui correspond à une couche d’environ 10 à 15 cellules), placées dans un milieu de culture au sein d’un incubateur. C’est à ce moment-là que les tranches ont été exposées in vitro à des polluants et/ou à du cortisol, l’hormone de stress, pendant 48 heures, de manière à mimer les conditions in vivo. Une fois la culture terminée, les échantillons de tissus ont été congelés afin d’analyser ultérieurement les effets biologiques induits par cette exposition in vitro.»

Baleine à bosse proche du bateau © Cathy Debier

Extrapoler l’expression des gènes à la santé globale de l’animal

Lorsque les chercheurs souhaiteront analyser les échantillons, ceux-ci seront décongelés. Afin d’extrapoler les effets des polluants et/ou du cortisol à l’entièreté du corps de l’animal, une approche dite « sans a priori » sera menée. « Il s’agit de transcriptomique. C’est-à-dire que tous les ARN messagers des échantillons exposés aux polluants et/ou au cortisol seront séquencés. Ils seront ensuite comparés aux échantillons contrôles non exposés. Ainsi, on pourra mettre en évidence l’ensemble des gènes qui ont été exprimés d’une manière différente par rapport au contrôle : cela peut être une sur- ou une sous-expression », poursuit Pre Debier.

Les biopsies réalisées sur les baleines à bosse et les orques n’ont pas encore été analysées. Mais l’équipe dispose de résultats de précédentes études menées selon le même principe sur des éléphants de mer, et réalisées grâce au soutien du FNRS. « Les derniers résultats ne sont pas encore publiés, mais nous avons pu montrer que l’expression de plusieurs milliers de gènes a été affectée par l’exposition à différents types de stress (incluant la pollution chimique). Une fois les gènes impactés identifiés, et en fonction de leur rôle (les gènes codent pour des protéines aux multiples effets, NDLR), il est possible d’extrapoler l’effet de l’exposition aux polluants et/ou au cortisol sur d’autres tissus et organes et de déterminer les conséquences sur la santé de l’animal, en identifiant les voies métaboliques dans lesquelles ces gènes interviennent. Plusieurs sont impliqués dans le système immunitaire, d’autres dans la reproduction, d’autres encore dans le comportement alimentaire, pour n’en citer que quelques-uns. »

L’équipe de Pre Cathy Debier travaille sur les échantillons de graisse de mammifères marins © Cathy Debier

Effet cocktail des polluants d’hier et d’aujourd’hui

Actuellement, les tranches de tissu graisseux sont exposées à trois conditions de stress : soit au cortisol, l’hormone de stress, soit à un cocktail composé de polluants organiques persistants, surtout des organochlorés et des organobromés (il s’agit des principaux contaminants retrouvés dans le tissu adipeux des mammifères marins), soit aux deux.

« Les biopsies réalisées sur les orques et les baleines à bosse étant de petite taille, nous sommes limités par le nombre de tranches et nous ne pouvons pas tester énormément de conditions différentes. Toutefois, dans les futures investigations, nous prendrons en compte des polluants historiques : PCB (qui ont connu un large usage industriel), DDT (un ancien insecticide), PBDE (des retardateurs de flamme polybromés). Et des polluants émergents tels que les PFAS. Et nous regarderons s’il y a des interactions entre eux », explique Pre Debier.

Au mois d’avril, des scientifiques norvégiens s’en iront sur l’île de Svalbard procéder au monitoring annuel des ours polaires. Dans le cadre de ce monitoring, des vétérinaires endorment des ours à distance, depuis un hélicoptère, afin de prélever des échantillons permettant d’étudier leur état de santé. Certains membres de l’équipe de la Pre Debier seront basés sur un navire océanographique de l’Institut polaire norvégien ancré non loin. A son bord, il y aura tout le matériel pour réaliser des tranches de précision de tissu adipeux à partir des biopsies prélevées sur les ours et les exposer in vitro aux polluants organobromés et organochlorés. De quoi mieux connaître leurs effets sur la santé globale de ces grands prédateurs.

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