La population mondiale se concentre de plus en plus dans les villes. Les tropiques n’échappent pas à cette tendance. Et on y respire de moins en moins bien. Ce constat vient d’être posé par une équipe internationale de chercheurs comprenant des scientifiques de l’Université Libre de Bruxelles. Dans leur collimateur: la qualité de l’air, sa dégradation et la surmortalité subséquente. Le tout surveillé depuis un instrument en orbite: le sondeur IASI, présent sur les satellites météorologiques européens Metop.
D’ici 2100, parmi les régions tropicales d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, 46 villes devraient entrer dans la catégorie des mégapoles. « Ces dernières sont des zones urbaines comptant plus de 10 millions d’habitants », relèvent les chercheurs. « Actuellement, on n’en compte qu’une douzaine, principalement situées en Inde. Les taux de croissance de la population y sont impressionnants: de 1% à 31 % par an.»
La chimie atmosphérique suivie sur le long terme
« Cette évolution a un impact sur la santé de ces habitants », indique le Dr Martin Van Damme, bioingénieur au département SQUARES (Spectroscopy, Quantum Chemistry and Atmospheric Remote Sensing), de l’ULB. Avec deux collègues de son centre de recherche, il a participé à l’étude sur l’évolution de la qualité de l’air dans les villes tropicales à croissance rapide, pilotée par des scientifiques britanniques.
« La pollution de l’air dans ces zones urbaines est trois fois plus élevée que dans le reste des pays tropicaux », précise-t-il. « Disposer d’une bonne radiographie de la situation et des tendances de ces dernières années permet de mieux prédire l’évolution de la santé des populations urbaines. Davantage de pollution, cela signifie aussi davantage de risque de développer des maladies cardiovasculaires, par exemple. Suivre l’évolution de la qualité de l’air sur le long terme permet d’estimer l’évolution de la morbidité et de la mortalité liées à cette pollution de l’air. Et de prendre certaines mesures. »
Une météo sous influence
Cette augmentation de la pollution de l’air trouve essentiellement ses sources dans la combustion de la biomasse et les activités industrielles. En Afrique tropicale, la pollution atmosphérique est également influencée par des sources naturelles, comme la poussière du désert et l’utilisation de combustibles solides.
« Les variations saisonnières de la météorologie ont aussi une incidence sur la qualité de l’air, en particulier en Afrique de l’Ouest et en Inde », relèvent les chercheurs. « Les vents du sud-ouest et les fortes précipitations pendant la mousson dispersent et emportent la pollution. Mais lors de la saison sèche, la météo stagnante entraîne plutôt son accumulation. »
Pour mesurer l’ampleur du phénomène, les scientifiques ont étudié des séries de données provenant d’instruments installés sur divers satellites entre 2005 et 2018. L’évolution des taux de particules fines, d’oxydes d’azote, de composés organiques volatils comme le formaldéhyde a été scrutée.
Trois outils spatiaux mis à contribution
« Nous avons plus particulièrement fourni à l’équipe britannique nos données concernant les émissions d’ammoniac, provenant de mesures réalisées avec l’instrument IASI », précise le Dr Van Damme (ULB et Institut royal d’Aéronomie spatiale de Belgique).
L’instrument IASI (Interféromètre Atmosphérique de Sondage Infrarouge) est présent sur les satellites Metop depuis 2006. Ces satellites d’EUMETSAT surveillent la Terre depuis une orbite polaire et mesurent une série de paramètres comme la température et l’humidité de l’atmosphère, mais aussi de les teneurs en de multiples composés chimiques. « Dont les émissions d’ammoniac», explique le Dr Martin Van Damme. « C’est précisément sur base des analyses de ces polluants que l’étude dirigée par nos collègues de l’University College de Londres a été réalisée. »
L’instrument européen GOME-2 (Global Ozone Monitoring Experiment-2), également présent sur Metop, a, quant à lui, fourni les données relatives au formaldéhyde et au dioxyde d’azote, tandis que l’instrument américain MODIS a livré des données liées aux particules fines.
Une surmortalité avérée
Les résultats de cette étude ne sont guère réjouissants. Dans la plupart des (futures) 46 mégapoles tropicales étudiées, il ressort que la pollution de l’air a augmenté en moyenne chaque année, entre 2005 et 2018, de 8 à 14 %, selon les types de polluants étudiés: 14% pour le dioxyde d’azote, 12% pour l’ammoniac (NH3) et 8% pour les particules fines (PM 2,5).
Avec comme corollaire une surmortalité qui augmente elle aussi. En 2018, quelque 180.000 décès supplémentaires dus à la pollution de l’air dans ces villes étaient à déplorer, selon les calculs des chercheurs.
L’étude montre aussi que ce sont principalement les activités industrielles, domestiques et de transport qui sont à l’origine de la dégradation de l’air ambiant dans ces grandes villes. Les défis à relever pour inverser ces tendances sont énormes. D’autant que l’évolution en mégapoles de ces villes va, pour certaines, se traduire par une explosion du nombre d’habitants. On parle de 10 millions d’habitants pour qualifier une ville de mégapole, mais selon les projections rappelées dans cette étude, certaines cités vont dépasser, et de loin ce seuil. « Certaines villes devraient dépasser les 50 millions d’habitants en 2100 », précise l’équipe. Et elle pointe Lagos (80 millions) au Nigeria, Dar es Salaam (62 millions) en Tanzanie, Kinshasa (60 millions) en République démocratique du Congo ou encore Mumbai (58 millions) en Inde.