Le mystère du lac Tauca s’estompe peu à peu

31 août 2018
par Daily Science
Temps de lecture : 4 minutes

Au sud des Andes Tropicales, sur l’Altiplano bolivien, le Salar de Uyuni, le plus grand désert salé de la planète, déroule ses immenses étendues immaculées.

Il y a 15 500 ans, le paysage dans cette région était cependant bien différent. Le fameux Salar était alors submergé par un lac bien plus grand que lui: le lac Tauca, aujourd’hui disparu.

Le Dr Pierre-Henri Blard, professeur invité au Laboratoire de Glaciologie de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), avec quelques collègues français et suisses, a reconstruit, pour la première fois, une carte des précipitations qui arrosaient cette région il y a 15 500 ans. Cette méthode permet de comprendre les processus atmosphériques qui ont mené, à l’époque, à des modifications abruptes du cycle de l’eau et à la formation du fameux lac.

Réorganisations de la répartition et de l’intensité des précipitations

« Au cours des millénaires, le climat terrestre a connu d’importantes fluctuations naturelles, notamment depuis la fin de la dernière période glaciaire, entre 20 000 et 10 000 ans avant notre ère », explique l’équipe.

« Les archives climatiques issues des sédiments océaniques et les calottes polaires indiquent notamment que, pendant cette déglaciation, les températures ont connu des oscillations drastiques et abruptes dans l’hémisphère Nord et, dans une moindre mesure, dans les Tropiques. La répartition et l’intensité des précipitations semblent aussi avoir été affectées par ces oscillations ».

« Ces changements climatiques sont sans doute pilotés par les variations de la circulation océanique, mais il reste à comprendre comment ces réorganisations du climat sont propagées sur les continents, et comment elles modifient la circulation atmosphérique ».

Salar de Uyuni.

Si au sud des Andes Tropicales, sur l’Altiplano bolivien, le climat est aujourd’hui d’une aridité extrême, les chercheurs savent qu’il y a 15.00 ans, des précipitations plus importantes et/ou des températures plus froides ont régné sur la région et ont formé et maintenu l’existence du Lac Tauca.

Reconstitution du lac Tauca recouvrant, il y a 15.500 ans, l'actuel Salar de Uyuni. © Edouard Mazaré
Reconstitution du lac Tauca recouvrant, il y a 15.500 ans, l’actuel Salar de Uyuni. © Edouard Mazaré

Élaboration d’une nouvelle carte des paléoprécipitations

« Mais nous ne connaissions pas encore les mécanismes atmosphériques qui ont conduit à cette réorganisation drastique de la répartition des précipitations en Amérique du Sud », indique l’équipe, dans un communiqué du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques de l’Université de Lorraine (Nancy, France).

« Plusieurs scénarios différents étaient proposés pour expliquer l’origine des masses d’air qui ont apporté l’humidité nécessaire à la formation du Lac Tauca. Ces incertitudes étaient dues au fait qu’il n’existait jusqu’à présent aucune méthode pour reconstruire le champ régional des précipitations ».

Dans leur nouvelle étude, les chercheurs ont tiré profit de dépôts glaciaires de l’Altiplano pour mettre en œuvre une méthode inédite.

« Un lac et un glacier ont en effet des sensibilités contrastées aux précipitations et aux températures, cette différence étant due au fait que l’énergie latente de vaporisation de l’eau, qui intervient dans l’évaporation d’un lac, est très supérieure à l’énergie latente de fusion de la glace». En reconstruisant la position des paléoglaciers synchrones du Lac Tauca, les chercheurs ont exploité cette caractéristique pour déterminer avec une précision et une justesse inédites l’augmentation des précipitations qui régnaient au moment du Lac Tauca il y a 15 500 ans. Le résultat majeur de ce travail de recherche a été de réaliser pour la première fois une cartographie régionale des paléoprécipitations à l’échelle de l’Altiplano.

La carte de précipitations ainsi obtenue montre que les précipitations étaient maximales sur la partie orientale de l’Altiplano. Les chercheurs interprètent cette configuration comme un déplacement vers le Sud de l’anticyclone de Bolivie (Bolivian High) de l’ordre de 500 km pendant la seconde partie de l’évènement Heinrich 1, il y a 15 500 ans.

« Cette hypothèse se base sur des observations climatologiques modernes de l’importance de la position et de l’intensité de cette zone de haute pression dans le contrôle des entrées d’humidité en provenance de l’Est sur l’Altiplano. Cette théorie trouve également sa place dans un corpus d’avancées récentes sur la paléoclimatologie Sud Américaine. En effet, à l’échelle continentale, un consensus se dessine et suggère un déplacement vers le Sud de tous les systèmes atmosphériques sud-américains lors des grandes périodes de refroidissement de l’Hémisphère Nord, conjointement à un ralentissement de la Circulation thermo-haline », indiquent-ils.

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