Les glaciologues de l’ULB veulent remonter aux origines de la calotte polaire groenlandaise

31 octobre 2022
par Christian Du Brulle
Durée de lecture : 4 min

Trois scientifiques belges, dont le Dr François Fripiat, glaciologue à l’Université libre de Bruxelles, viennent de se voir attribuer une des toutes premières bourses « Synergy » du Conseil européen de la Recherche (dans le cadre du programme Horizon Europe). Ce Conseil, qui dépend de la Commission européenne, finance la recherche scientifique fondamentale en Europe via différentes bourses richement dotées. La « Synergy grant » dont bénéficie l’équipe du Dr Fripiat et ses trois partenaires au Danemark et en France, s’élève à 14 millions d’euros sur six ans.

Leur projet? Avec Green2Ice, il espèrent remonter le temps: celui de l’histoire de la calotte polaire groenlandaise. Mais aussi mieux comprendre quand et dans quelles conditions climatiques, celle-ci s’est formée. Ainsi que les implications de l’absence de glace au Groenland sur le niveau des mers, et l’impact des populations microbiennes présentes sous la glace. Si ces microbes revenaient à l’air libre, ils pourraient contribuer à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Faire parler la glace basale et les sédiments sous-jacents

« Nous voulons travailler sur la glace basale, la glace la plus profonde de la calotte qui recouvre le Groenland », explique le Dr Fripiat.  « La glace basale est en contact avec le lit rocheux et contient de nombreux débris que nous souhaitons dater. Nous voulons aussi étudier les sédiments présents sous le glacier. »

« Peu de forages glaciaires réalisés jusqu’à aujourd’hui au Groenland ont permis de prélever de tels sédiments. Nous voulons le faire là où la glace est la plus épaisse et la plus ancienne : au centre de la calotte.»

« L’idée est de forer au fonds de puits de carottage des années 1990, sur les deux cents derniers mètres avant de toucher la roche et en déviant légèrement le trépan. Une fois au bout du forage, nous souhaitons aussi prélever des échantillons de sédiments sur une profondeur de six mètres », précise le chercheur.

Lire l’histoire de la glace

« Nous voulons ensuite appliquer toutes les techniques de datation disponibles pour dater la glace basale et les sédiments. Mais également élaborer et utiliser de nouvelles techniques de datation qui permettent de savoir depuis combien de temps une roche n’a plus été en contact avec la lumière. Cela nous renseignera sur la période précise à partir de laquelle la glace actuelle a commencé à se former sur le Groenland ».

Quand une roche est en contact avec le rayonnement solaire, elle se « charge » de lumière, en quelque sorte. C’est cette piste que les glaciologues vont suivre.

Les isotopes cosmogéniques à la rescousse

« Nous utiliserons, notamment, la technique des isotopes cosmogéniques », reprend Francois Fripiat. « Un quartz ou un feldspath peuvent renfermer de minuscules bulles d’air. Suite à leur exposition aux rayonnements cosmiques, il peut y avoir formation de carbone 14 ou d’autres isotopes cosmogéniques dans ces bulles d’air, comme le beryllium 10. »

« Quand ces minéraux ne sont plus en contact avec la lumière, il n’y a plus production de tels isotopes. Au contraire, ils vont commencer à se désintégrer. En mesurant la quantité d’isotopes cosmogéniques dans ces bulles d’air, nous allons pouvoir déterminer combien de temps ces minéraux ont été en contact avec la lumière et quand ils ont commencé à se désintégrer. Cela nous permettra de répondre à la question:  quand le Groenland était-il “vert” pour la dernière fois? »

Les scientifiques espèrent également pouvoir déterminer pendant combien de temps le Groenland était libre de glace avant la formation de la calotte actuelle. Cela permettrait de mieux comprendre la sensibilité de cette calotte polaire aux changements climatiques. « Ces connaissances réduiront donc l’incertitude des estimations de l’élévation future du niveau marin, conséquence du réchauffement climatique actuel », précise-t-on à l’ULB.

D’autres chercheurs soutenus

Au total, près de 360 propositions ont été soumises dans le cadre de ce premier appel à propositions pour des subventions de synergie du Conseil européen de la Recherche.

Le financement, d’une valeur totale de 295 millions d’euros, va à 29 projets impliquant 105 chercheurs principaux issus d’universités et de centres de recherche de 19 pays.

Parmi les 105 chercheurs principaux, et outre le Dr Fripiat, on retrouve également deux autres scientifiques belges: le Pr Jean-Francois Remacle, de l’Ecole polytechnique de Louvain, et la Pre Conny Aerts, astrophysicienne de la KULeuven lauréate du prix Francqui, la plus haute distinction scientifique en Belgique, et tout récemment d’un prix Kavli.

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