Jean-Pierre Devroey publie «Écrire, dessiner des paysages de labour» dans la collection Classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique. Riche en illustrations, le livre résulte de conversations et d’échanges commencés dans les années 1980 par le professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles (ULB).
«L’araire, l’instrument de labour attelé, s’est invité au détour de cours magistraux. Et de séminaires où questions et suggestions des étudiants ont contribué à garder la raie droite», précise le spécialiste européen des sociétés rurales du Moyen Âge et de l’histoire environnementale.
Une source exceptionnelle
C’est une enquête d’iconographie historique… «L’iconographie est depuis longtemps une ressource importante pour l’étude des cultures matérielles médiévales», explique Jean-Pierre Devroey qui a enseigné l’histoire médiévale et l’histoire économique à l’ULB. «Je ne suis pas historien d’art, et mon but n’est pas d’analyser les images de labour en termes de style, de composition, de signification symbolique ou d’esthétique. M’importent le contexte culturel et matériel de production, bien sûr. Et de manière plus incidente, le rapport, qui relève de la citation ou de l’illustration. Entre le texte sacré et la représentation picturale.»
Élaboré au IXe siècle, en France, vraisemblablement à Reims, le Psautier dit d’Utrecht constitue une source exceptionnelle pour l’historien des campagnes carolingiennes. «Considérées traditionnellement comme un ensemble directement inspiré d’un ou de plusieurs prototypes de l’Antiquité tardive, les 166 illustrations du psautier tracées en bistre ont vraisemblablement été réalisées par huit dessinateurs différents pour illustrer 150 psaumes et 16 cantiques de l’Ancien Testament.»
«Pour justifier cette investigation, il faut surmonter les objections théoriques considérables qui ont souligné le manque de réalisme de l’image médiévale.»
Des détails minuscules
Avec son degré de finesse élevé des détails des images, la haute définition a remplacé les anciennes reproductions au trait et facsimilés. Elle permet de réétudier les outils, les animaux des psaumes. De voir l’intérêt des auteurs pour le détail minuscule.
Des illustrations montrent un laboureur, aiguillon à la main, contrôler la marche et l’équilibre d’un araire en empoignant le manche de la main gauche. Des bovins attelés avec un joug de cornes. Des champs qu’on ensemence. Des vignes qu’on plante. Des fruits qu’on recueille en abondance…
«L’ensemble de la scène de labour donne une image réaliste des bœufs au travail», souligne le conférencier au Collège Belgique. La relation entre l’image et le texte évoque une vision optimiste du monde créé, malgré le péché originel, et les fruits donnés par la terre par l’action de la Providence. Le dessin des bœufs témoigne d’une bonne analyse du pas et l’effort de travail. L’artiste met en valeur leur musculature puissante.»
Les images évoluent
Les images du Psautier d’Utrecht ont évolué… «L’instrument aratoire continue d’y être employé comme allégorie de la production et du travail agricole dans les trois copies anglaises originaires de Canterbury», précise le scientifique. «En revanche, les artistes qui œuvrent aux illustrations du Psautier d’Eadwine (réalisé au XIIe siècle en Angleterre par le scribe Eadwine) s’écartent plus volontiers du modèle rémois. L’originalité tient dans la représentation d’instruments aratoires plus complexes que leur modèle du IXe siècle.»
Pour Jean-Pierre Devroey, le Psautier anglo-catalan de la Bibliothèque nationale de France occupe une place originale parmi les copies inspirées par le Psautier d’Utrecht. «Sur le terrain exceptionnel d’analyse offert par les copies anglaises, les araires présentaient une variété qui n’est pas seulement liée à la temporalité et à un supposé perfectionnement technique, mais également à l’observation du milieu et aux expériences des illustrateurs.»
«L’exercice d’interdisciplinarité entre neurosciences cognitives et expressions artistiques vient d’être tenté avec talent par Guillemette Bolens (Université de Genève) dans une lecture minutieuse du Psautier d’Utrecht. De ses adaptations anglaises et des relations texte-illustration.»
Élargir l’enquête
«Cette diversité invite à élargir l’enquête vers d’autres représentations médiévales du labour», conclut le membre de l’Académie royale de Belgique.
«Le fil de cette enquête sur les instruments de labour renforce la pertinence de l’idée d’une lecture attentive aux détails. Où l’historien doit garder à l’esprit les jeux de double sens qui contribuaient à présentifier l’expérience humaine incluse dans les psaumes.»