Le brouhaha d’une cantine, les cris des élèves dans une cour de récréation, le raclement des chaises sur le sol d’une classe… Tous ces bruits, qui créent l’atmosphère d’une école, peuvent aussi rapidement devenir des nuisances. Voire entrainer des souffrances psychologiques.
Afin d’améliorer l’acoustique des bâtiments scolaires, le Bureau de Normalisation (NBN) a édicté en 2012 la norme « NBN S 01-400-2 ». Elle est applicable à toutes les nouvelles constructions ou rénovations de bâtiments scolaires belges.
« Au sein des écoles, nous devons prendre en compte quatre facteurs : les bruits extérieurs au bâtiment, ceux entre deux pièces, ceux provenant des équipements, et les bruits au sein même de la pièce », indique Jean Nemerlin, ingénieur civil acousticien.
Chaque classe a ses décibels
Maud Géhu, ingénieure et chercheuse au laboratoire d’acoustique du Centre Scientifique et Technique de la Construction précise: « les écoles comprennent une multitude de locaux différents. C’est pourquoi la norme les répartit en ‘classe d’utilisation’ selon la production de bruit attendue et la sensibilité au bruit du local ».
« Une salle de repos à l’école maternelle a, par exemple, une faible production de bruit, mais une sensibilité acoustique élevée » explique-t-elle. Le local doit donc être bien isolé pour ne pas déranger les enfants.
Dans le cas d’une classe de musique, la production et la sensibilité au bruit sont toutes les deux élevées. Sans une bonne isolation, on notera une réverbération du son dans la classe. Et le bruit gênera le local voisin.
« Si le local de musique se trouve à côté d’une classe de cours, la norme indique que l’isolation doit être de minimum 56 décibels (dB). Et s’élève à minimum 60 dB si le local se trouve à côté d’une salle d’étude » précise l’ingénieure.
Des niveaux de bruit élevés dès la maternelle
Cette norme acoustique apparaît nécessaire au vu des mesures réalisées dans certaines écoles bruxelloises.
« Nous réalisons depuis 1998 des études sur le bruit à l’école » indique de son côté Catherine Lecointre du département Bruit de Bruxelles Environnement. Treize écoles bruxelloises ont été étudiées. Leurs mesures ont porté sur l’isolation, le bruit des équipements, le temps de réverbération du son dans une classe, et le bruit ambiant.
« Idéalement, le niveau de bruit ambiant d’une classe, comprenant le bruit de fond et la parole du professeur, devrait rester inférieur à 65 dB » continue Catherine Lecointre. Mais la réalité est loin de représenter cet idéal.
Dans le graphique ci-dessus, nous notons que les classes maternelles présentent un niveau de bruit ambiant supérieur à 70 dB. Avec un bruit « de pointe » (pics de bruit dépassés pendant 5 % du temps mesuré) allant jusqu’à 80 dB. Ce qui correspond au niveau de bruit d’une rue au trafic important.
Les enfants plus vulnérables
Être soumis à ce bruit constant au cours de la journée n’est pas anodin. À terme, il peut avoir des effets néfastes sur la santé des élèves et des professeurs.
Écoutez Marie-Noel Adnet, du département bruit de Bruxelles Environnement, expliquer comment le bruit provoque des problèmes auditifs chez certains enseignants.
Physiologiquement, notre corps répond aux bruits extérieurs. « Il représente une information parasite, interprétée comme un signal de danger auquel l’organisme réagit : le cœur bat plus vite, la tension augmente, la digestion est ralentie… », explique encore Marie-Noel Adnet.
Notre corps est littéralement stressé. Cela peut davantage se remarquer chez les jeunes élèves. « Les enfants sont plus sensibles au bruit car ils ne sont pas encore aptes à reconnaître le bruit comme une information, et non comme un danger », précise-t-elle.
Le professeur Benoît Dardenne, directeur du service de psychologie sociale de l’Université de Liège (ULg), confirme. « Les enfants peuvent être plus vulnérables au bruit car leur capacité à réguler leurs émotions, à s’évader, ou à rationaliser un bruit n’est pas aussi développée que chez l’adulte ».
Seuil de douleur et seuil psychologique
Même si l’enfant présente les mêmes symptômes de stress que l’adulte, les conséquences en sont différentes. « L’enfance est un moment charnière de la vie, signale le professeur Benoît Dardenne. Et s’il existe un relative entrave à ce développement, il peut y avoir des conséquences sur le long terme ».
Ces informations parasites peuvent, par exemple, entraîner des troubles de l’apprentissage. Le bruit influant sur la concentration et la mémorisation. Mais aussi des troubles de l’humeur et de socialisation.
Au niveau physiologique, il est aisé de déterminer le niveau sonore à ne pas dépasser. On l’appelle le « seuil de douleur ». Il est fixé à 120 dB. Mais aucun niveau n’est établi pour le « seuil psychologique », la limite à partir de laquelle nous subissons des séquelles psychologiques.
« Il est illusoire de vouloir en fixer un car il y a beaucoup trop de variables à prendre en considération, déclare Benoît Dardenne. C’est très subjectif, certaines personnes peuvent craquer à X décibels quand d’autres pas du tout ».
« Le seuil de douleur est différent car on remarque dans ce cas-là des séquelles auditives. Mais c’est bien avant cela qu’on atteint le seuil psychologique ».
On s’habitue au bruit, mais on en souffre
En 1998, une étude a montré que l’exposition chronique au bruit entraînait une augmentation du stress. Alors que ce niveau de bruit était inférieur à celui produisant des dommages auditifs.
La recherche avait porté sur l’impact de l’ouverture d’un aéroport international sur un échantillon de 217 Allemands de 9 à 11 ans. Six mois après l’inauguration de l’aéroport, les résultats relevaient que la pression artérielle des enfants avait augmenté. Tout comme le taux d’hormones de stress dans leurs urines.
Et si l’on a tendance à penser que l’on s’habitue à terme au bruit, le professeur Dardenne répond qu’« il est impossible de ne plus y être impacté ».
« Au mieux, on peut faire abstraction, s’évader, mais les conséquences du bruit sur la santé seront toujours là. Nous avons la faculté de fermer nos yeux si l’on est dérangé, mais pas nos oreilles ».