Créer la plus grande banque de données sur les abeilles sauvages au monde. C’est ce qu’a réalisé l’Université de Mons (UMons) dans le cadre d’une étude internationale.
Ce projet mené en partenariat avec l’Université Martin-Luther de Halle-Wittenberg (Allemagne), l’Université de Reading (Grande-Bretagne) et le Naturalis Biodiversity Center (Pays-Bas) se situe dans le prolongement du projet STEP qui visait une meilleure connaissance des pollinisateurs.
Ici, les scientifiques se sont intéressés à la vulnérabilité de plus de 700 espèces animales et végétales en Europe face aux changements climatiques d’ici 2050 et 2100.
Plus de 3.5 millions de données sur les abeilles
L’étude a cherché à savoir si le réchauffement du climat aurait un impact sur la relation plante-insecte. Les végétaux pourraient-ils survivre sans leurs pollinisateurs et inversement ?
Trois scénarios climatiques ont été explorés :
« Le premier suggère une augmentation de la température mondiale de plus de 4°C. Le second est un scénario intermédiaire où le réchauffement se limiterait à 3°C. Le dernier modèle suppose que l’on parviendrait à limiter l’augmentation des températures à 2°C » énumère le Pr Pierre Rasmont, chef du laboratoire de zoologie de l’UMons et un des auteurs de l’étude.
Concrètement, les scientifiques ont combiné ces divers scénarios avec des données sur les interactions entre plantes et pollinisateurs. Essentiellement des abeilles, mais aussi des papillons, et certaines espèces de mouches.
Le rôle de l’UMons a été de rassembler ces données. Les scientifiques ont ainsi identifié l’ensemble des espèces de milieux forestiers et semi-forestiers allemands. Des zones représentatives de l’Europe tempérée.
Spécialiste des abeilles, l’Université regroupait déjà 500 000 données sur cet insecte. Mais grâce à cette étude, leur banque de données en comporte aujourd’hui près de 3,5 millions. Ce qui en fait la plus grande source d’information au monde sur le pollinisateur.
Les insectes plus sensibles au réchauffement
Côté résultat, l’étude montre que l’augmentation des températures entrainera de façon certaine l’extinction de plusieurs espèces animales.
Dans le cas des abeilles, cela se mesure dès aujourd’hui.
« En Angleterre, par exemple, le bourdon souterrain a disparu il y a quelques années. Les scientifiques ont tenté de le réintégrer pendant 10 ans mais leurs efforts ont été vains. Et on comprend aujourd’hui qu’il a disparu car le climat anglais n’est tout simplement plus conforme à l’espèce » explique le Pr Rasmont.
Mais leurs recherches ont aussi mis en évidence un risque indirect du réchauffement climatique sur la biodiversité.
« Nous avons découvert que le risque climatique concerne chaque espèce prise isolément, mais aussi la relation insecte-plante » précise Pierre Rasmont.
Les pollinisateurs seraient sensibles à la disparition de leur plante hôte. Et surtout ceux dépendant de végétaux particuliers comme les abeilles. Par contre, l’étude indique que les plantes survivraient plus facilement à l’extinction de leurs partenaires animaux.
« Cela s’explique par le fait que les plantes sont généralement pollinisées par plusieurs espèces d’insectes. Donc même si un de ses pollinisateurs disparaissait, la plante y survivrait. Dans l’autre sens, c’est moins vrai. Les insectes sont souvent plus spécialistes. Par conséquent, si la plante qu’ils butinent disparait, ils perdront leur source de nourriture et s’éteindront à leur tour ».
Un effet domino à craindre
Mais cela ne signifie pas que les plantes ne dépendent pas de leurs pollinisateurs.
« Certaines espèces de bourdons femelles sont par exemple spécialisées dans le butinage du trèfle. Quand le mâle, lui, butine le chardon. Dans l’hypothèse où les chardons disparaitraient, les mâles s’éteindraient. Sans eux, les femelles dépériraient à leur tour. Le trèfle manquerait donc de pollinisateurs ».
C’est ce que l’on appelle « l’effet domino ». Qui peut être responsable de l’extinction d’un ensemble d’espèces fonctionnant en réseau.
« Si toutes les abeilles disparaissaient, l’humanité serait en grand danger puisque 80% des espèces de plantes dépendent des abeilles » rappelle Pierre Rasmont.
Un tel effet domino se révélerait catastrophique. D’où l’importance d’étudier les interactions entre les organismes afin de mieux prédire les effets du réchauffement climatique sur la biodiversité.
Réchauffement climatique : les insectes davantage en péril que les plantes
par Camille Stassart
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