Personne ne dira le contraire : les antibiotiques sont des médicaments précieux. Depuis la découverte de la pénicilline, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ils ont permis de sauver des millions de vie. Mais ce sont aussi des médicaments dont les effets secondaires, sur le long terme, restent mal connus.
L’étude menée au Canada par une chercheuse belge, le Dr Sophie Leclercq (Université Catholique de Louvain), éclaire d’un jour nouveau les effets que ces médicaments peuvent avoir sur la santé. Elle montre que l’administration d’antibiotiques chez une future mère, ainsi que chez une mère qui allaite, peut modifier durablement le comportement de son petit.
La piste du microbiote
« Mais attention ! », met en garde Sophie Leclercq, docteure en sciences biomédicales. « Mon étude ne porte que sur des souris. Ce qu’elle révèle ne doit pas être transposé tel quel à l’être humain ».
On sait que la modification du microbiote intestinal peut avoir un impact sur notre santé. « L’administration d’antibiotiques tôt dans la vie peut ainsi entraîner une augmentation du risque de développer une obésité », explique la Chargée de Recherche du F.R.S-FNRS, désormais attachée au laboratoire du Pr Nathalie Delzenne (UCL).
« On sait aussi qu’une administration précoce d’antibiotiques a un impact sur l’apparition d’allergies : un problème lié au fonctionnement de notre système immunitaire. Et que ces altérations peuvent à leur tour avoir un impact sur le comportement. Ce que nous avons voulu déterminer cette fois, sur la souris, c’est dans quelle mesure une exposition à de faibles doses d’antibiotiques pouvait également avoir ce genre d’impact ».
C’est lors de son postdoctorat à l’Université McMaster d’Hamilton (Canada), la chercheuse a travaillé sur des souris enceintes et sur des souriceaux.
Un comportement altéré qui persiste jusqu’à l’âge adulte
« La grossesse chez la souris dure 21 jours », rappelle-t-elle. « À une semaine de la naissance, nous avons administré de la pénicilline aux futures mères. De même, après la naissance des petits, nous avons également administré cet antibiotique aux jeunes mères pendant qu’elles allaitaient ». Les doses d’antibiotiques qui sont passées aux souriceaux étaient donc minimes : soit par le placenta, soit par le lait maternel.
Après le sevrage, les bébés souris ont été nourris plus classiquement. « Nous avons ensuite étudié leur comportement. C’est là que nous avons constaté que les souriceaux qui avaient été exposés aux antibiotiques développaient des comportements différents. Des comportements qui perduraient jusqu’à l’âge adulte (8 semaines chez ces rongeurs) ».
Les souriceaux en question semblaient moins anxieux. Ce qui dans leur cas, peut-être mortel face à un prédateur… Ils étaient aussi moins sociables et davantage agressifs.
Impact sur le cortex frontal
L’équipe a aussi remarqué des modifications au niveau du cortex frontal de ces souris. Cette région du cerveau, qui intervient dans le comportement, présentait plus de signes d’inflammation que chez les souris qui n’avaient pas été exposées aux faibles doses de pénicilline.
Une bonne nouvelle complète également cette étude. Quand on donne un complément alimentaire, un probiotique (de « bonnes bactéries » pour le microbiote) aux souris exposées aux faibles doses d’antibiotiques, les effets indésirables constatés sont nettement moins importants…
Au Canada, les recherches dans ce domaine continuent désormais et se concentrent sur la détermination de la période la plus critique en ce qui concerne cette exposition précoce. S’agit-il de la phase in utero ? De l’allaitement?
À l’UCL, le Dr Leclercq mène désormais des recherches sur le microbiote des personnes alcooliques (le cœur de sa thèse de doctorat, bouclée en 2014). Ici aussi, les liens entre les modifications du microbiote et les troubles comportementaux restent mal connus.