« Les calculs c’est bon pour les Jedi », estime le Pr Frédéric Bourgeois

11 août 2017
par Véronique Pipers
Temps de lecture : 7 minutes

SERIE (5/5) « Les maths? C’est passionnant! »
 
Le Professeur Frédéric Bourgeois cherche et enseigne  au sud de Paris, au Laboratoire de Mathématiques d’Orsay. A 41 ans, il a remisé depuis peu sa cape de Dark Vador (*)… Mais elle n’est jamais très loin!
 
« J’adore faire des maths sous toutes leurs formes, c’est ce qui depuis un très jeune âge m’a caractérisé, ç’a toujours été naturel pour moi. »
 
Très tôt propulsé des Olympiades belges vers les Olympiades internationales à Istanbul en 1993, le jeune mathématicien alors en 6e secondaires fait rapidement l’expérience des rencontres déterminantes. Parmi elles, il y a Luc Lemaire, Professeur à la Faculté des Sciences, département des Mathématiques, ULB, spécialisé en Géométrie différentielle, calcul des variations et équations aux dérivées partielles. Il lui glisse une brochure du département de mathématiques à l’ULB.
 
Choisir de ne pas choisir
 
Tiraillé entre raison – faire des études d’ingénieur garantes d’une bonne position professionnelle -, et passion – les mathématiques pour les mathématiques -, Frédéric Bourgeois choisit de ne pas choisir et se lance dans le doublet ingénieur physicien (5 ans) et sciences mathématiques (4 ans).
 
« J’ai été mis dans d’excellentes conditions ; j’habitais à distance de marche de l’ULB, les deux facultés étaient proche l’une de l’autre sur le campus et mes parents assumaient totalement le support logistique ; ça m’a facilité les choses de ne pas être seul dans un tel parcours. Tout s’est bien passé, j’ai obtenu chaque année la plus grande distinction. Heureusement, car perfectionniste comme je suis je n’aurais pas supporté de ne pas faire au mieux l’un des deux. »
 
Au terme de son double cursus et d’une année comme assistant intérimaire à l’ULB, Frédéric Bourgeois entame un parcours éclair et enchaîne thèse et post-doc : Stanford University, FNRS, Clay Mathematics Institute (USA) et Ecole Polytechnique en France avant d’obtenir un poste académique à l’ULB dès 2003 et à l’Université Paris-Sud dès 2013.
 
L’indispensable critère esthétique
 
Parmi les autres rencontres clés sur le chemin de la Géométrie différentielle – qui se différencie de la Géométrie synthétique en ce sens qu’elle est décrite de manière plus analytique -, il y a les Professeurs Simone Gutt et Michel Cahen, de l’ULB.
 
« Dès le premier cours de Géométrie différentielle en première licence, j’ai su que c’était ce que j’aimais. Michel Cahen donnait cours d’une manière très personnelle, il avait une manière abrupte d’introduire un concept, raconte le Professeur Bourgeois en riant; il arrivait sans notes. Il était très difficile à suivre mais passionnant. On était dans les mathématiques formelles, les beaux objets.»
 
La revoilà cette question du beau dans les mathématiques. Mais en quoi ce critère esthétique est-il si nécessaire et récurrent finalement ?
 
« C’est vrai, c’est une discipline scientifique ; on pourrait croire que c’est cartésien et sérieux. En réalité, la beauté dans les mathématiques est absolument essentielle. Le caractère esthétique des objets est un guide très important, poursuit le Professeur Bourgeois. Les objets qui se comportent de manière élégante donnent plus de chances d’aboutir. Intrinsèquement, les mathématiques sont vraiment belles.»
 
Les calculs c’est bon pour les Jedi
 
A côté de ces mathématiques dites pures, formelles, il y a les mathématiques appliquées dites aussi calculatoires que Frédéric Bourgeois chérit moins même s’il les trouve hautement respectables et nécessaires.
 
« Quand un pont qui coûte des millions d’euros doit tenir, il y a des calculs à faire bien sûr. Mais ce n’est pas esthétique. Je préfère toujours éviter un calcul et le remplacer par un raisonnement. Non par flemmardise mais par souci d’exigence. Je veux comprendre ce que je fais. Un calcul donne une solution. Mais la question vraiment intéressante est : pourquoi cette solution-là ? Suivre les lois de l’algèbre élémentaire n’y apporte pas de réponse. Là où un pas de recul permet d’élaborer un raisonnement abstrait qui vous dira pourquoi les choses sont ainsi et vous permettra peut-être de se poser de nouvelles questions et progresser. »
 
La Géométrie différentielle, mais encore ?
 
Le Professeur Bourgeois effectue ses recherches en topologie symplectique et de contact. C’est-à-dire l’étude des propriétés de certains espaces ou structures géométriques de dimension abstraite parfois très élevées ainsi que les propriétés de rigidité de ces espaces.
 
En géométrie euclidienne (celle que nous avons tous apprise), un rectangle fait de droites, de longueurs, d’angles peut être aisément déplacé par translations et rotations en conservant sa rigidité, lisez : ses droites, ses longueurs, ses angles. En géométrie symplectique, la structure peut être dilatée, contractée dans différentes directions tout en préservant ses propriétés. Du moins dans certaines conditions et ce sont ces « lois » de la rigidité – qui ne peuvent être représentées ou observées vu l’apparente flexibilité de ces structures – que Frédéric Bourgeois étudie.
 
« Ces structures géométriques ne sont pas que le fruit de l’imagination des mathématiciens nous explique le Pr Bourgeois ; les structures symplectiques permettent de décrire le cadre géométrique de la mécanique classique, tandis que les structures de contact jouent ce rôle pour l’optique géométrie et la thermodynamique. De nombreuses questions que je me pose croisent les intérêts de physiciens qui étudient les systèmes dynamiques, par exemple. »
 
« On peut appliquer ceci à la modélisation du déplacement d’une voiture, poursuit Frédéric Bourgeois, avec deux directions de l’espace correspondant à la position du centre de la voiture sur le plan de la route, et la troisième dimension correspondant à l’angle que fait l’axe de la voiture avec une direction donnée. La contrainte locale exprimant que la voiture ne peut avancer que le long de son axe est alors une structure de contact, et le théorème d’approximation legendrienne montre qu’il est possible de se garer dans toute place de parking de taille strictement supérieure à la taille de la voiture, de quoi complexer tout conducteur débutant ! (Même si le nombre de va-et-vient à utiliser tend vers l’infini, lorsque la différence entre la taille de la place de parking et celle de la voiture tend vers zéro.) »
 
Susciter des vocations
 
« Il faut être très cartésien pour pouvoir imaginer cette abstraction”  détaille le Professeur Bourgeois.
 
Conscient de l’ultra spécificité de son domaine d’étude, il est attentif à garder son auditoire avec lui, que ce soit en cours ou en conférence. Rassurer, adapter son discours, vulgariser sans perdre le sens des mathématiques sont à ses yeux des tâches aussi cruciales que se déguiser ou organiser des concours ; la finalité étant toujours de transmettre une passion et susciter des vocations.
 
« Il nous faut faire le grand écart entre faire découvrir des choses incompréhensibles et faire passer le message intact. Plus on connaît les mathématiques plus on se rend compte qu’on ne connaît rien. Les matières calculatoires vues en secondaires sont nécessaires mais il est important que les jeunes sachent que les mathématiques sont tout autre chose. S’ils s’engagent dans cette voie, ce qui les attend est fascinant. J’ai lu dans un sondage que sur l’échelle du bonheur au travail, les maths sont très haut. Les mathématiciens sont des gens heureux, conclut-il en riant. »
 

(*)
Dans le cadre de Problemaths, un concours de mathématiques organisé à l ‘ULB, un participant a mis durant 4 ans un point d’honneur à jouer sous le pseudonyme de Dark Vador. Ce concurrent mystère avait été le seul à résoudre un problème de géométrie combinatoire. Il était venu chercher son prix en costume du héros de la Guerre des étoiles. On raconte que c’était Frédéric Bourgeois.

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