Depuis la mi-décembre, un nouveau « véritable » fossile complet de dinosaure est exposé au Muséum des Sciences naturelles à Bruxelles. Véritable, parce que contrairement aux nombreux et terrifiants squelettes complets d’animaux présentés dans la salle des dinos, il ne s’agit pas d’un moulage. À l’exception de nos Iguanodons, bien sûr. Découverts il y a 140 ans, les Iguanodons de Bernissart étaient jusqu’alors les seuls squelettes authentiques et complets de dinosaures visibles en Belgique.
Le nouveau fossile exposé au Muséum est un platéosaure. Baptisé « Ben », il se compose d’un assemblage d’os fossilisés retrouvés en Suisse, dans la ville de Frick. Il tire son nom de Benjamin Pabst, un paléontologue et docteur en biologie marine de l’Université de Zürich qui a été à l’origine de sa découverte. « Il est plus exact de dire à l’origine de leur découverte », souligne le scientifique suisse de 68 ans.
« Ce platéosaure, complet à 80 %, est en effet constitué d’os provenant de deux spécimens différents retrouvés à Frick ».
Un précurseur du Diplodocus
Âgé de 210 millions d’années, Ben le platéosaure de 6,5 mètres de long est un des premiers grands dinosaures connus à ce jour. Avant lui, les dinosaures ne dépassaient pas la taille de 1,5 m. Proche de l’origine des sauropodes comme Diplodocus, c’est aussi l’un des premiers « longs cous ». Il appartenait en effet à la lignée des prosauropodes, les précurseurs des sauropodes comme Diplodocus. Il avait une longue queue et un cou déjà relativement allongé. Sa grande taille lui permettait de se nourrir d’une large variété de végétaux (mais il mangeait probablement presque tout ce qui lui tombait sous la dent : insectes, petits animaux, charogne…). Bipède, Plateosaurus pouvait se redresser à l’occasion, accédant ainsi aux feuilles de branches plus élevées. Il vivait en troupeaux et pouvait se défendre grâce aux puissantes griffes de ses pattes avant.
Sa découverte date de 2007
L’histoire moderne de « Ben » débute à l’été 2007. Le paléontologue Ben Pabst et quelques étudiants fouillent alors la carrière d’argile et de marne de Frick à la recherche de fossiles de dinosaures. Ils savent qu’ils ont de fortes chances de trouver des os de Plateosaurus. Depuis les années 1970, la carrière de Frick en a livré plus d’une trentaine, partiels ou complets. L’été est riche. Un spécimen est effectivement exhumé. La saga de Ben le platéosaure peut commencer.
En réalité, la plupart des ossements visibles à Bruxelles appartiennent au spécimen « 07 », mis au jour en 2007. Mais quelques-uns proviennent du spécimen « 08 », de taille similaire, qui a été exhumé l’année suivante.
D’après le musée des sauriens de Frick, ils devraient permettre de reconstituer un platéosaure complet à 80 %. Mais c’est seulement maintenant, alors que tous les os ont été dégagés, que les paléontologues et les techniciens peuvent le vérifier.
Un puzzle de 200 pièces en « 3D »
Leur inventaire est d’ailleurs impressionnant. Ils comptent 50 os pour les pattes postérieures, 42 pour les pattes antérieures, 47 vertèbres du sacrum à la pointe de la queue, 15 vertèbres dorsales, 10 vertèbres cervicales, 32 chevrons (les longues excroissances de part et d’autre de certaines vertèbres)… Les 80 % sont effectivement atteints. Les fossiles manquants sont remplacés par des pièces sculptées, avec un fort noyau en polyuréthane et des couches de plâtre synthétique. Aldo, l’un des préparateurs, espère qu’à l’avenir, ils pourront les créer avec une imprimante 3D (comme cela a été fait pour l’Homme de Spy exposé dans la Galerie de l’Homme).
Comment sait-on à quoi ressemble un os manquant ? Pour les pattes, c’est facile : on sculpte « en miroir » un os de la patte droite à partir de l’os correspondant sur la patte gauche (et vice versa). Pour les autres os, on consulte la vaste documentation qui existe sur le platéosaure. Ou on se base sur les os d’autres spécimens. Ainsi, pour le crâne, les parties manquantes ont été reconstituées à partir d’une réplique de crâne découvert en 1911 à Trössingen (Allemagne). Sur ce site, ainsi qu’en France et en Suisse, des dizaines et des dizaines de platéosaures ont été mis à jour.
« Comme ils étaient les premiers grands dinosaures, ils n’étaient pas incommodés par des prédateurs. Ils pouvaient manger et se reproduire en paix. Tout ce qu’ils risquaient, c’est de s’embourber, ce qui est probablement arrivé à Ben et à beaucoup d’autres platéosaures à Frick», estime-t-on au Muséum.
Prêt permanent entre musées
Au Sauriermuseum de Frick, on croule effectivement sous les caisses de fossiles dégagés dans la carrière. « Mais notre musée est petit », explique sa directrice adjointe.
« Quand en 2015 les contacts entre nos deux musées ont laissé entrevoir la possibilité de prêter de manière permanente un de nos spécimens, nous avons donné notre accord. À Charge pour le Muséum des Sciences naturelles de Belgique de préparer le squelette prêté et ensuite de l’exposer ». Ben venait de gagner son ticket pour Bruxelles.
En mai 2016, quatre caisses en bois, une demi tonne au total, arrivent au laboratoire de paléontologie du Muséum. Elles sont remplies de blocs de plâtre de toutes tailles. Sous la couche protectrice de plâtre, de jute et de feuilles d’aluminium se cachent les fossiles et une gangue de sédiments vieux de 210 millions d’années. Il faut un mini-burin, semblable aux outils pneumatiques utilisés en dentisterie, pour nettoyer chaque os. Les parties dégagées de fossile sont ensuite enduites avec un composé liquide qui comble les fentes microscopiques des fossiles, ce qui leur évite de se morceler.
Ce plastique liquide isole également le fossile de l’air et empêche ainsi la « pyritisation » : l’oxydation de la pyrite présente à l’intérieur des fossiles. En réagissant avec l’oxygène de l’air, la pyrite peut provoquer l’effritement des fossiles qu’elle a envahi…
Mort à l’âge de six ans
Le paléontologue Koen Stein de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) a étudié les os de Ben. Son analyse montre que l’animal est mort à l’âge de six ans. Le paléontologue a prélevé un petit échantillon cylindrique dans le fémur fossilisé. De cet échantillon, il a coupé une tranche infime, qu’il a soumise à une spectrométrie de fluorescence des rayons X. Le taux de calcium indique la présence de tissu osseux (bleu) et le taux de titane celle de vaisseaux sanguins (rouge). « Une ligne bleue signifie une croissance ralentie, correspondant à la saison sèche, quand les platéosaures avaient moins de nourriture », explique le scientifique.
« Entre deux lignes bleues, il y a une période « rouge » avec une croissance accrue et une forte augmentation des vaisseaux sanguins dans les os. Cette période coïncidait avec la saison des pluies, pendant laquelle les plantes abondaient. Ces cernes annuels ne sont pas présents chez tous les vertébrés. Les descendants de Plateosaurus, les sauropodes tels que Diplodocus et Apatosaurus, grandissaient en continu, d’où leur taille gigantesque. »