SERIE (3/5) Devoirs de vacances
« Chaud ou froid ? Sec ou humide ? », c’est à peu de chose près ce qu’aurait pu vous demander Galien si vous l’aviez consulté en 150 ap. J.-C. Considéré comme le « prince de la médecine » de l’Antiquité, Galien est pourtant boudé par les médecins qui ne jurent que par Hippocrate. Or Galien est bien plus important pour notre connaissance de la réalité et du fonctionnement de la médecine antique. Le Musée royal de Mariemont a voulu réhabiliter cette 2e grande figure de la médecine antique, lui donner une visibilité nouvelle et inédite.
« Dans cette exposition, la philologie rejoint l’archéologie, ce qui n’arrive pas souvent » souligne la Professeure Véronique Boudon-Millot, Directrice de recherche au CNRS, une des deux commissaires scientifiques.
Un médecin « totalement » libre
« Derrière les objets, il y a des textes. Le Corpus Galénique écrit au cours du 2e siècle, représente 20 % de la totalité de la littérature grecque conservée, soit 20 000 pages dans l’édition de référence du 19e siècle. Ce qui fait de Galien l’auteur grec le plus prolifique. Galien a écrit sur tout, parlait de tout, avait des idées sur tout, c’était un homme libre qui ne s’est jamais soumis à aucune autorité », dit-elle.
Il doit son salut à sa dextérité dans l’art d’exercer la médecine. Souffrant de fortes fièvres et de violents maux de ventre, l’Empereur Marc Aurèle le fit appeler à son chevet. Bien que contredisant le diagnostic des médecins impériaux, Galien réussit à guérir l’empereur. Ce qui amena l’empereur à dire de lui : « Nous avons un médecin, un seul et il est totalement libre… »
Au cœur de l’Empire romain
«Avec le Corpus Galénique, nous avons un bilan sur toute la médecine antique qui va pouvoir se transmettre et régner sur la médecine jusqu’aux découvertes de Vésale qui remettent en cause des observations anatomiques de Galien », reprend Véronique Boudon-Millot.
« Mais les écrits de Galien sont bien plus que des traités de médecine. Très imagés et visuels, ils nous font entrer dans les maisons, nous mettent en contact avec la réalité de l’Empire romain», indique Annie Verbanck-Pierrard, commissaire générale de l’exposition.
« Galien nous offre une occasion beaucoup plus riche qu’Hippocrate de s’intéresser aux patients, aux vrais malades. Dans l’œuvre de Galien, il y a des cas concrets, des malades de toutes les classes de la société, de l’esclave à l’empereur. Des détails sur la vie quotidienne, du lit au pot de chambre » précise la Professeure Danielle Gourevitch, deuxième commissaire scientifique.
Par le biais de ses récits, de ses actions, et de ses rencontres, nous découvrons l’histoire d’une société : comment s’organisait la transmission du savoir ; comment on se déplaçait sur les routes de l’Empire ; comment un gladiateur était soigné ; comment les guerres affectaient la population et la mortalité ; comment les médecins privilégiaient des traitements redoutables tels que les purgatifs ou la saignée ; comment de nombreuses substances interdites aujourd’hui étaient mélangées pour fabriquer un médicament miracle ; comment la philosophie de vie était l’alliée de la guérison, etc.
Un trésor retrouvé
Récemment une lettre de 10 pages a été retrouvée dans un temple à Thessalonique. Cette lettre adressée à un de ses condisciples restés à Pergame, Galien relate la perte de tous les biens les plus précieux dans l’incendie de Rome en 192. Son contenu est une leçon philosophique dont le message est « qu’il ne faut pas s’attacher aux biens matériels ».
Cette lettre fourmille de renseignements sur l’incendie, sur sa progression, sur sa date exacte (date qui était encore en discussion pour certains) et sur le marché du livre et de l’édition à l’époque antique.
C’est un témoignage important relatant le mode de vie de Galien, sa manière de travailler avec les scribes auxquels il dictait ses textes, le nombre de copies de ses traités et la distribution de ceux-ci dans tout le bassin méditerranéen. Ces éléments très précis ont permis aux archéologues de vérifier certaines de leurs hypothèses et de relancer leurs recherches sur l’implantation de bibliothèques dont on ne connaissait pas la localisation. Une grande découverte qui dépasse le champ de la médecine.
La médecine indissociable de la philosophie
« Galien était certes un grand médecin, mais était aussi un philosophe. C’est à l’âge de 16 ans que, déçu par ses maîtres qui se contredisent, le jeune homme décide d’entreprendre des études de médecine. Il veut pouvoir constater, prouver et démontrer, mais toujours en toute liberté, il ne soumettra jamais sa pensée. La philosophie fera cependant partie intégrante de sa vie et de sa pratique de la médecine : « un bon médecin est aussi un philosophe ». On ne peut rien comprendre de l’homme, des quatre humeurs (sang, phlegme, bile jaune, bille noire), des quatre éléments (eau, terre, feu, air), des quatre qualités (chaud, froid, sec, humide), si on n’a pas fait de philosophie, si on n’a pas l’héritage des philosophes présocratiques qui ont expliqué l’univers à travers ce schéma quaternaire » précise Véronique Boudon-Millot.
« Le savoir Galénique est toujours à l’arrière-plan d’une certaine manière de penser la médecine et de penser le corps. L’exposition met en avant l’importance de cette pensée et de l’enseignement galénique à travers les époques. Elle s’adresse tant aux médecins et aux pharmaciens qu’aux bibliophiles et amateurs d’histoire. » conclut Annie Verbanck-Pierrard.