Séance d’archéologie expérimentale à Aubechies. Un essai de métallurgie égyptienne antique y est au menu. Quand on sait que certains historiens de l’art s’écharpent sur des méthodes de production de peintures d’il y a à peine quatre siècles, on s’imagine la difficulté que représente l’étude de la métallurgie dans l’Égypte du Nouvel Empire et de la Basse Époque, d’il y a quelque trois millénaires.
C’est pourtant le défi que s’est lancé Georges Verly, archéologue de l’ULB, doctorant à la Sorbonne et chercheur au Musée Art&Histoire de Bruxelles, entouré de collègues aux spécialités diverses et complémentaires.
La complexité de l’« artisanat » antique
Comprendre la métallurgie égyptienne relève d’un challenge complexe avec, pour preuve, le peu d’indices dont disposent les égyptologues. « A ce jour, nous connaissons trois sites avec des fours de décirage datant de l’Égypte antique, autant séparés dans l’espace, quelques centaines de kilomètres, que dans le temps, parfois un millénaire. Ce sont en outre des chaînes opératoires complexes incluant de 2 à 400 personnes », indique Georges Verly.
« Si l’archéologue sait lire et déchiffrer les strates, reprend-il, il ne peut pas être compétent pour toutes les techniques et face à tous types de matériaux. J’ai rencontré au début de ma thèse plusieurs métallurgistes afin de me familiariser au domaine. Ensuite je me suis défait de ce savoir moderne afin d’appréhender au mieux les méthodes utilisées par les Égyptiens antiques ».
Des fouilles en décembre au nord du Soudan
« Ils avaient une compréhension empirique de la nature et des matériaux que nous avons perdue aujourd’hui », poursuit le chercheur. « Afin de réaliser les moules, ils mettent au point des pâtes argileuses, issues du lit du Nil, combinées à des dégraissants afin de leur donner des propriétés mécanothermiques exceptionnelles. Pour la technique de la cire perdue, cela permet d’obtenir des résultats impressionnants. Les bruts de coulée ont même une surface lisse dès l’ouverture du moule ».
La rareté des sites connus et préservés oblige les chercheurs à faire preuve d’inventivité. « Nous nous rendons à Kerma, dans le nord du Soudan, en décembre pour un mois intensif de fouilles », indique Georges Verly. « Nous devrons maximaliser nos découvertes durant ce laps de temps ». Pour ce faire, plusieurs chercheurs se sont associés à la construction d’une méthode de fouilles originale et pluridisciplinaire.
Une méthode de travail originale
En collaboration avec le département de géologie de la KU Leuven de Patrick Degryse et l’archéométallurgiste Frederic Rademakers ainsi que Matthieu Boone de l’UGent, les chercheurs se sont livrés à des analyses métallurgiques et à des microscans (µ-CT scans) des artefacts antiques et expérimentaux.
Les premières recherches ont été menées par l’équipe de l’université de Bonn dont l’égyptologue Johannes Auenmüller. « Pour chaque recherche, nous associons l’archéologie, l’archéométrie et l’archéologie expérimentale. La seule façon de valider la chaîne de production expérimentale, c’est de la comparer aux données archéologiques », dit Georges Verly. « En outre, l’intérêt de l’expérimentation est de mieux fouiller afin de proposer de nouvelles hypothèses de recherche».
Reconstitution de fours à Aubechies
Durant ces recherches, les chercheurs ont été les premiers à comprendre le fonctionnement d’un four de réduction. « Ils utilisaient du bois au lieu du charbon. En fouilles, Adeline Bats a pu montrer que le combustible des réductions a été réutilisé pour la cuisson du pain. Cela a permis de mieux comprendre la gestion spatiale du site d’Ayn Soukhna.».
Concernant la fusion : « L’arsenic permet de renforcer le cuivre (analyses menées au musée sur les artefacts de l’Ancien Empire), mais nous n’arrivons pas à comprendre quand est additionné l’arsenic au cuivre. Nous soulevons une nouvelle question originale : comment et d’où vient ce taux d’arsenic ?».
Et les innovations technologiques ne s’arrêtent pas là. Grâce à l’appui de l’archéosite d’Aubechies, spécialisé dans la reconstitution historique, les chercheurs ont littéralement reconstitué et utilisé des fours égyptiens de réduction, de fusion et de décirage selon les connaissances d’alors. « Nous avons vraiment eu de la chance de bénéficier de l’expertise du maître métallurgiste Hughes Paridans dans ce travail ».
Les pieds délicats du dieu de la renaissance
L’étude des moules antiques de Bonn a amené à une constatation étonnante sur des artefacts culturels de l’Égypte ancienne. Sur des statuettes d’Osiris, le dieu égyptien de la renaissance, ils ont remarqué une fausse soudure au niveau des pieds.
« Ce n’est pas logique qu’une telle soudure se trouve à cet endroit, à moins que nous soyons face à une pratique culturelle nouvelle. Il s’agit ici d’une hypothèse que nous allons bientôt présenter ».
« Selon nous et le conservateur Luc Delvaux au Musée Art&Histoire du Cinquantenaire (Bruxelles), les statuettes d’Osiris étaient sciemment construites pour avoir un point de fragilité au-dessus des pieds. Lors d’un rite, le prêtre cassait probablement la statue, d’où sa fragilité, puis lui redonnait vie en « collant » les pieds au reste du corps. Il conservait même ces pieds qu’il renvoyait aux métallurgistes pour faire une nouvelle statue osirienne. Les pieds sont la source symbolique du Nil. C’était un rite pour montrer la renaissance d’Osiris » une manière de figurer la cyclicité des saisons et la renaissance des périodes d’agriculture alors intimement liées au fleuve.
Si les fouilles de décembre n’ont pas encore débuté, les chercheurs ont déjà permis de repenser et de requestionner la technologie du cuivre en Égypte antique et en particulier la période du moyen empire (vers 2.000 ans avant notre ère). En outre, une collection permanente va être créée au musée d’Art et d’Histoire de Bruxelles. Dorénavant, tous les curieux peuvent visiter le dimanche la reproduction d’un four égyptien, une technique oubliée depuis trois millénaires.