Par deux fois, la conférence gesticulée « La recherche, c’est nos oignons » fut à l’affiche durant le mois de mars. Lors du festival Nourrir Liège, dans un centre culturel, et lors du Printemps des Sciences, à l’Université de Namur. A mi-chemin entre vécu et contenu scientifique et politique, le récit est porté par un ton résolument accessible pour permettre au grand public de pénétrer dans un milieu qui lui est, pour la plupart, méconnu voire inconnu : celui de la recherche universitaire, de sa mécanique et de la façon dont les connaissances s’y construisent.
Recherche en technologies : à quand la réflexion en amont ?
« Si la conférence s’appelle « La recherche, c’est nos oignons », c’est dans l’idée que ce qui se passe dans les universités concerne tout le monde. Mais dans la façon dont elles s’organisent, tout est fait pour garder à distance les personnes qui potentiellement s’intéresseraient aux travaux qui y sont menés. Dans la conférence, je donne l’exemple d’un champ d’essais OGM entouré de hautes barrières. Globalement tout ce qui se passe dans les labos est hors de la vue. Et pourtant, ce qui s’y construit a et aura un impact énorme sur la société et son organisation. Dans la conférence, je parle des OGM, car cela est lié à mon expérience de vie, mais l’intelligence artificielle est du même genre. Les recherches dans ces domaines se préparent durant des années dans les universités à l’abri des regards, avant d’en sortir et de donner forme à la société. A ce moment-là, c’est beaucoup trop tard pour avoir des discussions autour de ces sujets. Il est crucial d’en débattre en amont, au moment de la distribution des fonds de recherche par exemple », explique Barbara van Dyck.
Chercheuse et activiste
Agronome de formation, elle a traversé la Manche pour réaliser un post-doctorat à l’Université de Sussex, grâce à une bourse européenne Marie-Curie. Elle y explore un champ disciplinaire émergent : la recherche sur les travaux menées en sciences et technologies. Cette approche ancrée dans les sciences sociales essaie de comprendre et d’expliquer comment les questions prennent forme en sciences. Barbara van Dyck se consacre à l’analyse des projets menées en Belgique en agro-alimentaire. Ça, c’est pour sa première “veste”, comme elle dit. Elle en porte une seconde, celle d’activiste.
Flash back. Le 29 mai 2011, les caméras sont braquées sur un portion de champ très controversée à Wetteren, en Flandre orientale. L’université de Gand et le ILVO, un institut de recherche public-privé, y mettent à l’essai une pomme de terre génétiquement modifiée pour être résistante au mildiou. A l’appel du collectif Field Liberation Movement, environ 250 activistes partent en croisade pour arracher ces patates OGM. Barbara van Dyck est l’un d’eux.
« C’était une action de désobéissance nécessaire pour dénoncer un manque de démocratie autour des nouvelles technologies. On voulait transformer une question technique en une question politique et sociétale», explique-t-elle.
Susciter le débat dans le milieu universitaire
En partant de l’économie de la pomme de terre en Belgique, et à l’aune de son expérience personnelle, sa conférence gesticulée explore quelques facettes de la façon dont la recherche se fait dans notre pays :
« La recherche, ça concerne tout le monde. Mettre son vécu, son histoire personnelle dans le récit, ça aide à rendre ce sujet plus proche. Le moyen d’expression qu’est la conférence gesticulée permet de poser un regard large sur ce qu’il s’est passé à Wetteren, d’en donner une interprétation, poursuit-elle. Outre les rencontres avec le grand public, je fais aussi cette conférence gesticulée dans les universités afin de susciter la discussion avec des collègues. Les plus âgés sont souvent fâchés car ils ne veulent pas être confrontés à ce genre de question. Par contre, cela parle beaucoup aux jeunes scientifiques qui ont des doutes. Ils s’interrogent : dois-je quitter l’université ou est-ce que j’y reste ? Cela permet de discuter des deux options, et aussi de souligner que le chercheur non impliqué, neutre, n’est pas la seule option. Depuis Descartes, on nous fait croire que la recherche c’est quelque chose d’objectif, alors qu’elle dépend de son contexte. J’utilise la conférence gesticulée pour débattre d’un sujet si fin.»