Pour Marc Van Montagu, professeur émérite à l’université de Gand, la science et l’innovation forment un continuum et le fil rouge d’une vie consacrée sans répit à la biologie moléculaire et aux biotechnologies. Parcours d’un chimiste « hors normes », récompensé notamment du prix mondial de l’alimentation (en 2013), considéré comme le Prix Nobel de l’agriculture.
Quatre ans après Crick et Watson
En 1955, son travail de licence emmène Marc Van Montagu à étudier, presque par hasard, des enzymes de l’orge, rappelant ainsi la longue tradition brassicole de notre pays ̶ et aussi de ses centres de recherche. Déjà passionné par la continuité enseignement-recherche-applications, le jeune chercheur crée une école technique près du réacteur nucléaire de Geel et en devient le sous-directeur. Sentant pointer la guerre scolaire, il retourne à l’université. Ses réflexes de chimiste organicien le portent naturellement à s’intéresser à la structure de l’ARN.
« Nous sommes en 1957, se souvient-il, Watson et Crick avaient résolu la structure de l’ADN quatre ans plus tôt. Mais l’ARN était encore mystérieux, même si l’on pressentait qu’il joue un rôle fondamental dans le monde du vivant. C’était une époque passionnante. »
Une science « portes ouvertes »
Dans cette découverte de la chimie du vivant, Walter Fiers, directeur du laboratoire de biologie moléculaire à Gand, décide d’utiliser les connaissances acquises pour étudier les cancers humains. Marc Van Montagu et son collègue le plus proche, Jeff Schell, choisissent quant à eux de se consacrer aux cancers des végétaux.
« Il y avait au laboratoire 150 souches de la bactérie Agrobacterium tumefaciens, connue pour induire des tumeurs dans de nombreux végétaux. Nous voulions en comprendre le mécanisme. Dans ce but, nous échangions souches et connaissances entre nos équipes. Pour moi, la science ne se conçoit que « portes ouvertes », et forcément au niveau international. »
« J’avais pris alors un poste en faculté de médecine à Gand car mes collègues possédaient un microscope électronique. Je pressentais que cet outil alors peu répandu allait me rendre de bons services pour comprendre les mécanismes et les molécules en jeu dans le développement des cancers. »
Manipulations génétiques
Ce fut en effet un bon choix : en 1974, Van Montagu et Schell montrent qu’un plasmide (une molécule d’ADN distincte de l’ADN chromosomique) pourrait être la cause des tumeurs provoquées par Agrobacterium tumefaciens.
Des échanges de matériel génétique peuvent donc se produire entre des bactéries et des végétaux, qui l’intègrent dans leur génome. Forts de cette connaissance, les deux chercheurs développent une technique révolutionnaire pour transférer des gènes étrangers dans des plantes. Ils entrevoient aussitôt les formidables opportunités que cette technologie ouvre pour l’agriculture, l’alimentation, la santé et l’environnement. Rendre un végétal résistant à des insectes ou producteur d’un médicament : les enjeux paraissaient immenses. Pourtant, l’article dans lequel Marc Van Montagu décrit ces travaux fondamentaux ne soulève qu’un enthousiasme modéré dans la communauté scientifique. C’est le rédacteur du prestigieux Journal of Molecular Biology qui doit en faire lui-même la revue car le sujet était loin d’attirer les experts…
Créer de nouvelles plantes
Par contre, des financiers américains montrent rapidement un intérêt pour ces « bio-technologies » et approchent les scientifiques de Gand. Convaincu que l’Europe est à la hauteur, Marc Van Montagu décide de développer la technologie en Belgique. Sa société Plant Genetic Systems (PGS) voit le jour en 1982.
Rapidement, la « spin-off » met au point les premiers organismes génétiquement modifiés, ouvrant ainsi une ère nouvelle de la biologie moléculaire des plantes. Il devenait possible de transformer le matériel génétique et créer de nouveaux végétaux. Les oppositions n’ont pas tardé. Et, compte tenu des formidables enjeux de propriété intellectuelle, la société a été impliquée dans plusieurs procès, notamment avec le géant américain Monsanto. Ironie du sort, PGS, après avoir été vendue à Bayer CropScience, se retrouve désormais dans le giron de Monsanto, lui-même racheté par Bayer en 2018…
Avec le recul, Marc Van Montagu reconnaît que ses objectifs n’ont pas été atteints. Ou pas encore… Il regrette que les grands acteurs industriels et financiers ne se préoccupent plus que des produits, et non de la longue chaîne de la recherche et de la connaissance qui a permis ces développements.
« Les biotechnologies tournent aujourd’hui au ralenti. C’est devenu compliqué et très cher. Vous avez besoin d’autorisations à chaque étape. Tout le monde a peur de tout. Il faut pourtant reconnaître qu’il n’y a eu aucun accident. Mais personne, ou presque, n’ose affirmer qu’on ne voit aucun danger dans cette technologie qui pourrait être une solution pour une agriculture bien plus durable. »
Un renouveau de la confiance dans la science ?
Dans ces conditions, quelle piste préconise le scientifique qui, précisons-le, est aussi membre de l’Académie nationale des sciences américaine et fut plus de dix ans président de la Fédération européenne de biotechnologie ? « Nous devons défendre l’acquis de la science. On voit aujourd’hui un vaste mouvement antiscience se développer au niveau mondial. Celui-ci a déjà ralenti le développement de l’énergie nucléaire et des biotechnologies”.
“Demain, cette opposition va impacter la santé avec les procès intentés aux vaccinations. Mais je reste confiant. J’ai obtenu du recteur de l’université de Gand que le raisonnement scientifique soit enseigné dans toutes les facultés. Je suis convaincu que nous sommes à l’aube d’un renouveau qui va restaurer confiance dans la science. Dans un futur plus ou moins proche, la forte demande pour une agriculture moins industrielle va nous faire redécouvrir le formidable potentiel du génie génétique et des biotechnologies végétales ».
NOTE:
Pour en savoir plus, un livre raconte l’aventure passionnante de ces biotechnologies végétales à travers le parcours et les travaux des scientifiques de l’université de Gand tels que Walter Fiers, Marc Van Montagu, Jeff Schell et Marc Zabeau (Judith M. Heimann, Using Nature’s Shuttle, Wageningen Academic Publishers, 2018).