Une épée, une ceinture d’apparat, des fragments de céramiques, des pièces en or… Les fouilles menées depuis deux ans par les archéologues de l’Université libre de Bruxelles au Bois du Grand Bon Dieu, à Thuin, ont livré une belle collection d’objets datant de l’Âge du Fer.
« Aujourd’hui, nous estimons que l’occupation celtique du site s’est étendue de -75 à -25 avant J.C. environ », souligne l’archéologue Nicolas Paridaens, du Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine (CReA-Patrimoine) de l’ULB, qui dirige les fouilles menées depuis 2018 à Thuin.
Avant cela, comme en attestent des silex taillés provenant de Spiennes, et qui ont également été retrouvés à Thuin, le site avait déjà été occupé à l’époque néolithique. « Quasi 300 outils en silex et plusieurs centaines d’éclats ont été récoltés lors des campagnes de fouilles en 2018 et en 2019 », indiquent les archéologues. « Ces objets se rattachent tous à une époque bien précise du Néolithique appelée le «Michelsberg» (4300/4200 à 3700/3600 av. J.-C.). Il s’agit principalement de haches et d’herminettes polies, de grandes lames retouchées, de percuteurs, d’armatures de flèches, de tranchets et de grattoirs ».
Un oppidum celtique à protéger
C’est la seconde période d’occupation du site, au premier siècle avant J.C., qui retient l’attention. Dans les années 1980, le site avait déjà livré un trésor en statères, des pièces de monnaie gauloises en or, qui datent du premier siècle avant notre ère. Ces pièces sont désormais conservées au Musée Art & Histoire, à Bruxelles.
Depuis, le Bois du Grand Bon Dieu n’avait plus été étudié par des scientifiques. « Par contre, des pillards semblent bien l’avoir régulièrement écumé. De nombreuses pièces archéologiques ont sans doute disparu », estime Nicolas Paridaens.
C’est en vue de protéger ce patrimoine archéologique et de recontextualiser les découvertes anciennes issues du Bois du Grand Bon Dieu que l’Université libre de Bruxelles a entamé ce nouveau programme de recherches, en partenariat avec l’Agence wallonne du Patrimoine et la Ville de Thuin. En deux ans, neuf zones de fouilles ont été ouvertes sur le plateau.
Et le sol a réservé quelques belles surprises aux chercheurs. On notera cette épée gauloise d’apparat en fer munie d’un manche en bronze. Particulièrement bien conservée, cette arme celtique a été retrouvée dans un état de conservation remarquable. La lame en fer est complète et mesure environ un mètre.
« La poignée est composée d’une succession de disques en alliage cuivreux », indique Nicolas Paridaens. « Il semble que cet objet prestigieux ait été déposé de façon rituelle sur le site ».
Les restes d’une ceinture celtique en métal avec inclusions de verre fondu ont également été mis au jour. « Cette chaîne-ceinture en alliage de cuivre (bronze) et incrustations d’émail rouge est un objet celtique exceptionnel », décrivent les archéologues. « Ce type de ceinture terminé par des agrafes représentant des animaux est une parure prestigieuse fréquemment retrouvée dans les riches tombes féminines gauloises du milieu et de la fin de l’âge du Fer (3e-1er siècle av. J.-C.). À Thuin, elle n’est pas associée à une sépulture. Elle semble plutôt avoir été déposée comme offrande ».
Des statères en or ont également été découverts. Ils correspondent pour la plupart à un type de pièce gauloise bien connu dit « à l’epsilon ». Ces monnaies sont attribuées à la tribu gauloise des Nerviens et semblent avoir circulé entre 90 et 50 av. J.-C. On remarque sur l’une d’elles la figure d’un cheval ainsi qu’une rouelle.
Enfin, les fragments de poteries sont attribués à la période gauloise. La pièce reconstituée présentée dans l’exposition temporaire au centre Culturel de Thuin est un vase à provisions typique des poteries du 1er siècle av. J.-C », indique Céline Paquet, chercheuse au CReA-Patrimoine, de l’ULB.
Guerre des Gaules
Les chercheurs ont aussi eu la surprise de découvrir 18 « balles de fronde » romaines, en plomb, sur ce site.
La présence de ces projectiles romains signifie-t-elle qu’un épisode de la Guerre des Gaules s’est déroulé ici? Les chercheurs du Centre de Recherches en Archéologie et Patrimoine (CReA-Patrimoine) de l’ULB estiment que cet indice unique est bien trop faible pour pouvoir l’affirmer. Et ce, même si Jules César, dans le récit de ses conquêtes, décrit un site gaulois dont la disposition rappelle étrangement celui du Bois du Grand Bon Dieu.
Une citadelle naturelle
« Le site du Bois du Grand Bon Dieu est planté sur un promontoire de 13 hectares surplombant la Biesmelle, un affluent de la Sambre. Il est défendu naturellement par des versants abrupts sur quatre de ses cinq côtés. La fortification est fermée sur son dernier côté par un rempart constitué d’un fossé et d’une levée de terre de 3 m de haut encore conservée sur 40 m », expliquent les archéologues de l’ULB.
Et voici ce que décrit Jules César: « Les Atuatuques réunirent tous leurs biens dans une seule place que sa situation rendait très forte. De toutes parts autour d’elle, c’étaient de très hautes falaises d’où la vue plongeait sauf sur un point où s’ouvrait un accès en pente douce qui n’avait pas plus de deux cents pieds de large : un double mur fort élevé défendait cette entrée, et ils le couronnèrent alors de pierres d’un grand poids et de poutres taillées en pointe ». (César, Guerre des Gaules)
La ressemblance est troublante. Mais elle ne convainc pas les chercheurs de l’ULB. Aucun vestige de siège romain du site n’a été détecté dans les environs de l’oppidum gaulois. De plus, il semble que les balles de plomb romaines (fondues au départ de plomb espagnol. L’Espagen était alors une province romaine), soient plus récentes que celles utilisées lors de la Guerre des Gaules.
Atuatuques ou Nerviens?
Alors, à quoi servait cet oppidum? Et à quelle tribu gauloise? A ce jour, le site n’a pas livré de traces d’habitations, ni de sépultures. Ce qui fait dire aux archéologues qu’il devait principalement être utilisé comme lieu de réunions et de festivités par les populations gauloises de l’époque. La céramique témoigne quant à elle de fêtes où l’on consommait de la nourriture et des boissons.
La société gauloise, qui vivait en village, se structurait lors de fêtes communautaires, dans des endroits publics délimités par des fossés ou des fortifications, souvent au sein des oppida. Cela pourrait avoir été le cas du Bois du Grand Bon Dieu.
Quant aux occupants des lieux, les archéologues de l’ULB pensent que la fortification de Thuin était utilisée par les Nerviens plutôt que par les Atuatuques, comme l’écrit Jules César (si toutefois, il s’agit bien du même site) et comme on le pensait jusqu’à présent. En réalité, Thuin se situe ici à la limite du territoire des deux tribus: Nerviens à l’Ouest et Atuatuques à l’Est. Le débat et les fouilles sont loin d’être terminés. Une troisième campagne de fouilles est programmée pour l’an prochain.
Quelques-unes des pièces découvertes lors de ces deux années de fouilles sont présentées au Centre culturel de Thuin tout au long du mois d’octobre. Elles seront ensuite confiées au Musée royal de Mariemont.