L’empreinte philosophique de Diogène est toujours vivace

11 mars 2020
par Raphaël Duboisdenghien
Temps de lecture : 4 minutes

Aux Presses universitaires de France et aux éditions Humensis, le Pr Jean-Manuel Roubineau dresse un portrait fouillé de Diogène.

Né à la fin du Ve siècle avant notre ère à Sinope, une cité grecque au bord de la mer Noire. Fils de banquier. Impliqué dans la fabrication d’une fausse monnaie, Diogène est condamné à l’exil. Il choisit les mégapoles d’Athènes et de Corinthe. Pour le philosophe, il convient que «le sage s’établisse de préférence là où les imbéciles sont en plus grand nombre, afin de démasquer et de corriger leur stupidité».

Lors d’un voyage vers l’île d’Égine, au sud-ouest d’Athènes, Diogène est capturé par des pirates. Vendu sur un marché d’esclaves en Crète à un riche Corinthien de passage, il devient son intendant. Libéré par son maître, le philosophe serait mort de vieillesse. Probablement au-delà de 80 ans.

"Diogène" par Jean-Manuel Roubineau. Presses universitaires de France et éditions Humensis. VP 15 euros - VN 11,99 euros
“Diogène” par Jean-Manuel Roubineau. Presses universitaires de France et éditions Humensis. VP 15 euros – VN 11,99 euros

La richesse est dérisoire

Pour Jean-Manuel Roubineau, maître de conférences en histoire ancienne à l’Université Rennes 2 – Haute-Bretagne, chargé d’enseignement à la faculté de Philosophie et Sciences sociales de l’Université libre de Bruxelles (ULB), plusieurs raisons expliquent la postérité de Diogène dans la mémoire collective. «Par-dessus tout, sa notoriété tient au rôle qu’il a joué dans la formulation et le développement de la philosophie cynique.»

Ses extravagances comportementales sont mémorables. «La pratique de la masturbation en public étant, sans conteste, la plus connue d’entre elles», note le chercheur. «S’y ajoute le fait d’avoir choisi de vivre de la mendicité. Et notamment dans une jarre, en bordure de l’agora d’Athènes.»

Critique des fondements de la vie en cité, inventeur d’une première forme de cosmopolitisme, Diogène dénonce la place démesurée accordée à l’argent, «la mère-patrie de tous les vices». S’attaque à la distribution inégale de la richesse et de la pauvreté, au bien-fondé de l’esclavage. Propose de supprimer l’usage des armes. Se moque de l’obsession de remporter une victoire sportive…

Ses propos conduisent le Cynique à mener une existence de mendiant. Sans enfant pour bénéficier de la solidarité intergénérationnelle. Sans rapports de réciprocité avec les citoyens pour être protégé des aléas de la vie. Quand on lui demande qui le portera en terre, Diogène rétorque: «celui qui aura besoin de mon logis». Sa jarre, qualifiée abusivement de tonneau.

Des conseils contre des dons

«La vie d’indigent constitue une épreuve autant physique que psychologique», relève le spécialiste de l’histoire sociale des cités grecques et des inégalités sociales. «Les discours dominants assimilent le mendiant à un parasite. Le mendiant constitue le point bas du spectre social. À certains points de vue plus bas encore que l’esclave qui est, quant à lui, intégré dans un foyer. Et protégé par son maître à mesure du capital qu’il représente et de l’attachement qu’il suscite.»

Diogène considère qu’il ne mendie pas. Qu’il donne des conseils, des éclairages philosophiques en échange de dons. Surnommé «le chien», terme à l’origine de «cynique», le philosophe invite chacun à «revêtir la vie des chiens», de briser les limites symboliques et les tabous de la condition humaine. À pratiquer le franc-parler. Selon le récit de Plutarque, Diogène, couché pour prendre le soleil, réplique «Ôte-toi un peu de mon soleil» au roi Alexandre de Macédoine qui lui demande s’il a besoin de quelque chose.

Une philosophie en actes

Opposé à Platon, Diogène pointe la déloyauté des tyrans, leur égoïsme, leur goût de la manipulation. Critique les démagogues populistes qui influencent le peuple. Refuse de conseiller les puissants. Privilégie l’éducation des masses. Le Cynique fait de la cité sa salle de cours. Discourt sur l’agora, dans les bains, les boutiques, les tavernes, les auberges.

«Le legs philosophique de Diogène est considérable», estime Jean-Manuel Roubineau. «Qu’il s’agisse de la contestation de l’ordre établi, du détachement des choses matérielles, du choix d’un retour à la nature, ou encore de la formulation d’un idéal cosmopolite. Le Cynique a intrigué, par sa philosophie, de nombreux courants de pensée postérieurs. Et ce, bien au-delà de l’Antiquité. Le cynisme n’est pas une simple doctrine mais une philosophie en actes, mise en œuvre par ses partisans. Les coups de foudre philosophiques que Diogène a suscités chez ses élèves suggèrent un charisme peu commun.»

«Rares sont les travaux d’économistes, d’anthropologues, de sociologues ou d’historiens consacrés au personnage», regrette le chercheur. «Pourtant, Diogène a bien plus à nous apprendre que sa seule philosophie.»

Jean-Manuel Roubineau donnera la conférence «Malheur aux mendiants! Quotidien et exclusion des errants en Grèce ancienne» le 18 mars, à Bruxelles, au Palais des Académies.

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