Les constellations de satellites, nouvelle source de pollution lumineuse pour les astronomes

12 mars 2020
par Christian Du Brulle
Temps de lecture : 4 minutes

La pollution lumineuse émise sur Terre par les activités humaines ne fait pas les affaires des astronomes. Cette luminosité parasite les détecteurs de leurs télescopes. C’est pour cela que les grands observatoires astronomiques sont installés dans des régions désertiques, loin des villes.

Mais, depuis un an, un autre souci « lumineux » inquiète les professionnels du ciel nocturne: il s’agit des multiples projets de constellations de satellites qui sont en développement.

Évaluation de la menace

« Depuis le lancement, l’an dernier, des premières grappes de satellites, nous nous interrogeons beaucoup sur l’impact qu’auront à terme ces constellations lancées en orbite basse sur nos observations », confirme le Dr Olivier Hainaut. Cet astronome liégeois en poste à l’ESO, l’Observatoire austral européen, dont la Belgique est un des membres fondateurs, vient de cosigner une étude sur l’impact de ces constellations développées par des sociétés comme SpaceX, Amazon et OneWeb.

OneWeb a l’intention de couvrir la Terre avec une constellation nominale de 648 minisatellites LEO construits par Airbus Defence and Space (crédit image: Airbus DS)

« On parle de milliers de satellites lancés en orbite basse », précise-t-il. « Des engins susceptibles de refléter les rayons du Soleil vers les télescopes terrestres qui tentent d’observer le ciel nocturne en début et en fin de nuit ».

Ces éclats lumineux, même temporaires, sont de nature à perturber, voire empêcher des observations astronomiques de qualité. Mais dans quelle mesure exactement, et pour quels types de télescopes? C’est ce que le scientifique belge de l’ESO a voulu évaluer avec plus de précision.

Les télescopes à large champ davantage concernés

« Nous avons surtout tenté de déterminer dans quelle mesure ces milliers de satellites allaient avoir un impact sur les observations faites par les télescopes de l’ESO, comme le Very Large Telescope (VLT) ou encore l’ELT (Extremely large telescope) qui est en construction dans le désert d’Atacama, au Chili », explique l’astronome.

« Notre premier constat est que les éclats lumineux générés par ces satellites n’allaient sans doute pas avoir un impact énorme sur nos outils de travail, parce que ceux-ci n’observent que de petites portions du ciel. Les télescopes à large champ par contre, qui « balaient large » dans le ciel nocturne, risquent d’avoir nettement plus de problèmes », précise-t-il.

La durée des observations est également un critère pris en compte dans cette étude. Dans le domaine du rayonnement visible, les observations sont parfois longues. Il n’est pas rare d’avoir des temps de pose de 1000 secondes. Une période au cours de laquelle un satellite lumineux risque de passer dans le champ de vision de l’instrument. Selon les calculs, 3% de ces observations, effectuées à l’aube ou durant le crépuscule, pourraient être inexploitables.

Pour les observations réalisées dans l’infrarouge, les poses sont nettement plus courtes, de l’ordre de la fraction de seconde, ce qui est moins gênant pour les astronomes. Ce type d’observations seraient dès lors moins impactées: 0,5% d’entre elles seraient affectées, selon les modélisations. Les observations effectuées à d’autres moments de la nuit seraient également moins impactées, les satellites se trouvant alors dans l’ombre de la Terre et ne bénéficiant d’aucun éclairement.

Ébauches de solutions

Pour tenter de réduire ces nuisances, plusieurs pistes s’offrent aux astronomes et aux opérateurs de satellites. Parmi les mesures d’atténuation, on pense, par exemple, à calculer la position des satellites afin d’éviter d’observer à l’endroit précis où l’un d’entre eux passera devant l’œil du télescope. Les astronomes pourraient également limiter leurs observations aux seules zones du ciel situées dans l’ombre de la Terre, dans lesquelles les satellites ne bénéficient pas de l’éclairement du Soleil.

Du côté des industriels, une mesure efficace pour limiter ces impacts consisterait à assombrir les satellites. Mais cela ne fait pas nécessairement non plus leurs affaires. Des satellites sombres emmagasinent davantage l’énergie du Soleil, ce qui peut amener à la surchauffe de leurs systèmes de bord et à leur destruction.

Des discussions franches et directes entre astronomes professionnels et exploitants de (futures) constellations de satellites sont en cours. Un dialogue positif, selon Olivier Hainaut.

Des astronomes aveugles et… sourds?

Notons encore que l’étude de l’ESO repose sur diverses simplifications et hypothèses censées délivrer de prudentes estimations des effets de ces constellations de satellites sur les observations de l’Univers. Au final, ils pourraient se révéler avoir moins d’impacts dans la réalité que sur le papier.

« Une modélisation plus sophistiquée sera nécessaire pour quantifier plus précisément les impacts réels de ces constellations de satellites », indique l’ESO. Bien que l’accent soit mis sur ses télescopes, les résultats de son étude s’appliquent à des télescopes similaires gérés par d’autres observatoires.

Enfin, ce que l’étude actuelle n’évoque nullement, ce sont les impacts de ces constellations de satellites sur les observations réalisées par les radiotélescopes. Ceux-ci « écoutent » le ciel dans d’autres longueurs d’onde que le rayonnement visible ou infrarouge. Ils sont actifs dans le domaine des ondes millimétriques et submillimétriques. Des longueurs d’onde susceptibles, cette fois, d’être perturbées par les communications « radio » entre ces constellations de satellites et la Terre. Les astronomes, sont-ils condamnés à devenir sourds et aveugles? Des études complémentaires devraient préciser l’ampleur de ces futurs handicaps.

Haut depage