Depuis plusieurs semaines, la détresse psychologique des résidents en maisons de repos est mise en avant. Il est vrai que la crise du COVID-19 impacte vraisemblablement le bien-être des seniors.
Néanmoins, comme le rappelle Stéphane Adam, Docteur en psychologique et responsable de l’Unité de psychologique de la senescence à l’ULiège, les personnes âgées sont plus résilientes qu’on ne le pense. Leur prise en charge psychologique ne doit cependant pas être négligée, surtout dans le contexte actuel. Mais pas davantage que d’autres groupes de personnes.
Le mythe du senior malheureux
Dans un récent rapport, le Bureau fédéral du Plan a synthétisé les résultats des enquêtes s’intéressant à l’impact de la crise sanitaire sur le bien-être, menées par la Banque nationale de Belgique, Sciensano, l’UAntwerpen (en collaboration avec la KULeuven, l’UHasselt et l’ULB) et l’UCLouvain.
Il en ressort que la santé mentale de la population s’est nettement détériorée. Et ce, principalement chez les femmes, les 16-45 ans, les personnes vivant seules (avec ou sans enfants), celles non diplômées du supérieur et celles au chômage ou en incapacité de travail. Ces groupes sont également très affectés par la perte de liens sociaux, causée par les mesures de confinement.
D’après ces résultats, les seniors ne font donc pas partie de ces groupes vulnérables. « On imagine, à tort, que les personnes âgées sont plus sujettes aux sentiments de solitude et de dépression. Alors que des études suggèrent que seulement 11% des plus de 65 ans se sentent isolés et 9% sont en dépression », souligne le Pr Adam.
Cela n’empêche, un meilleur accompagnement psychologique des aînés reste profitable. En particulier dans les circonstances actuelles. « Dans la gestion de cette crise, on s’est probablement un peu trop concentré sur la dimension ‘santé physique’. Négligeant, comme souvent, la question de la santé mentale des seniors », déclare le psychologue.
La santé mentale des personnes âgées délaissée
« Ce qui compte pour eux, ce n’est pas d’avoir une vie sociale animée, ni même d’avoir beaucoup d’amis avec qui échanger, mais d’être entouré de leurs proches. Le lien familial est donc très important, et le confinement a tué ce lien », annonce le Pr. Adam.
En maisons de repos, certaines structures ont mis en place des solutions, en exploitant, par exemple, la vidéo-conférence. « Mais c’était toujours à l’initiative de l’institution ». Même constat vis-à-vis du soutien psychologique : les maisons de repos sont libres de compter dans leur personnel un ou plusieurs psychologues. Mais il n’y a aucune obligation en la matière. En conséquence, la présence d’un psychologue reste l’exception dans ce secteur, à défaut d’être la règle.
« Sans parler du fait que les consultations en psychologie ne sont pas remboursées par la sécurité sociale pour les plus de 64 ans ». Ce point est actuellement discuté.
Chez les résidents les plus fragiles, ce manque de soutien psychologique pourrait causer à l’avenir une amplification du « syndrome de glissement », qui se manifeste souvent après un épisode traumatique.
L’âge serait bel et bien dans la tête
Il se caractérise par une détérioration soudaine, rapide, et souvent fatale, de l’état général, sans pathologie sous-jacente. Cela interpelle, car deux personnes du même âge, à l’état de santé similaire, ne rebondiront pas de la même manière après une même expérience bouleversante. Telles qu’une chute, ou le deuil d’un proche. Certaines se renfermeront sur elle-même, donnant l’impression d’avoir perdu l’envie de vivre.
« Ce trouble tend à confirmer l’un des grands enseignements des études sur la personne âgée : l’état mental est un facteur important de longévité. L’important ne serait pas l’âge réel, mais l’âge ‘ressenti’ », stipule le chercheur.
Celui-ci dépend de l’état de santé physique, mais aussi de la santé mentale, et est également lié à la vision que la société a des aînés. « Ces indicateurs bio-psycho-sociaux sont utiles pour prédire la longévité. Plus on se sent ‘vieux’, moins la santé sera bonne ! »
En finir avec l’âgisme bienveillant
La société a sa part de responsabilité dans l’idée où nous vivons dans un monde qui discrimine les gens selon leur âge. Et d’après le chercheur, cette crise sanitaire n’a rien arrangé.
« Les médias et les autorités communiquent largement sur la fragilité des seniors face au COVID-19. On les qualifie de personnes ‘à risque’. Ce qui amplifie cette idée que le vieillissement = dépendance, problèmes de santé, ou détresse. En général, cela provoquera des attitudes de surprotection consistant, par exemple, à vouloir faire leurs courses à leur place, ou à les priver de sorties. Ce comportement (pourtant bien intentionné) est néanmoins paternaliste, condescendant, voire infantilisant envers les seniors. C’est ce qu’on appelle de l’âgisme bienveillant. »
« Nous devons certainement agir pour améliorer leur bien-être. Mais des actions ciblant exclusivement les seniors ne sont pas pertinentes. Ce qu’il faut, c’est agir pour toutes les personnes qui en auraient besoin, qu’importe leur âge », conclut le Pr Adam.