Dans la sphère du travail, la pandémie que nous vivons impacte davantage les femmes. Selon l’Organisation internationale du travail, « les femmes sont, en effet, surreprésentées dans les secteurs les plus touchés, comme le secteur des services, et dans les professions qui sont en première ligne face à la pandémie, notamment les professions de la santé et du soin. »
A côté du travail de soin rémunéré, le travail de soin non rémunéré, réalisé au sein des foyers, a également augmenté pendant cette crise. Des tâches invisibles et sous-estimées, qui pèsent davantage sur les épaules des femmes.
Le double emploi des femmes
Ce travail englobe des tâches matérielles comme faire à manger, nettoyer, réparer, coudre, faire la liste des courses ou encore trier les vêtements. Mais il inclut aussi le soin émotionnel et affectif des proches, tel que « consoler les enfants, entendre les difficultés émotionnelles des proches, les réconforter, tisser et retisser du lien social en prenant des nouvelles d’un tel ou d’une telle », énumèrent Laura Aristizabal Arango, Emilie Rouchon et Manon Roussaux, dans le rapport d’enquête sur le travail et le foyer à l’heure du (dé)confinement de l’UCLouvain, de l’Université Saint-Louis Bruxelles et du CESEP (Centre Socialiste d’Education Permanente).
S’il était déjà connu que ce travail est majoritairement attribué aux femmes, les mesures prises pour contrer l’épidémie ont permis de remettre cette problématique sur le devant de la scène.
De fait, avec la fermeture des structures qui soutiennent habituellement l’équilibre travail-famille, l’étude universitaire constate que « les femmes confinées en couple avec enfants ont fait plus de travail de soin, et ce, alors même que le travail salarié s’est poursuivi sous la forme de télétravail (66% des répondantes indiquent qu’elles étaient en télétravail pour décrire leur situation professionnelle en période de confinement).»
En conséquence, 30% des femmes de l’échantillon indiquent avoir eu des difficultés à concilier leur emploi et les charges familiales pendant le confinement, contre 18% des hommes.
Une charge émotionnelle amplifiée par le contexte
Vis-à-vis de la charge de soin émotionnel, le rapport suppose que « la période du confinement ayant été particulièrement éprouvante du point de vue affectif et émotionnel (passer des coups de fil, prendre des nouvelles, s’assurer que les proches disposent bien de tout ce qu’il lui faut, mais également rassurer les enfants dans un contexte propice à l’anxiété), le travail émotionnel assigné aux femmes a augmenté ».
Ces investissements ont entraîné, du même coup, une plus grande fatigue chez les femmes durant la période de confinement. 41% des répondantes affirment, en effet, que la fatigue est l’une des (nouvelles) difficultés rencontrées pendant le confinement, contre 31% des hommes.
« L’enquête souligne donc une distribution genrée du travail de soin assez inégalitaire. Pour nous, cela indique la nécessité et l’actualité des luttes féministes », note Laura Aristizabal Arango. « Cette crise sanitaire a aussi permis de montrer que ce travail au sein des foyers n’est toujours pas considéré aujourd’hui comme un travail à part entière. Il concerne pourtant une grande majorité des femmes, de tous les âges, et de toutes les situations socio-économiques. »
La nécessité d’un changement en profondeur
On peut, toutefois, aussi envisager que cette pandémie fasse évoluer les normes sociales traditionnelles, du moins pour certains ménages. Dans la publication « Covid-19, travail et genre en Wallonie », l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique indique :
« Alors que dans de nombreux cas, les mères ramasseront une grande partie des tâches de garde d’enfants (et de leur éducation à domicile) pendant la crise, il y aura également une fraction des familles où les modèles de rôles seront inversés (infirmières, enseignantes, pharmaciennes, etc.). L’implication renforcée des pères dans la gestion de la vie familiale peut ainsi avoir un impact qui perdure à plus long terme. Par la force des choses, la division traditionnelle du travail domestique et de soins et d’éducation aux enfants est remise en cause et on peut espérer que la régression après la crise sera tout au plus partielle. »
Des situations qu’il faut néanmoins nuancer pour Laura Aristizabal Arango : « Même si la crise a rééquilibré des dynamiques de divisions genrées du travail domestique dans certaines familles, cela reste des rééquilibrages individuels. Or, cette distribution inégale du travail de soin reste un problème collectif, de société. Les évolutions à l’échelle des ménages individuels n’auront aucun impact sur le problème structurel. En réalité, il ne pourra y avoir de véritables changements sans la mise en place de politiques publiques sérieuses de valorisation du travail domestique », conclut la chercheuse.