Tout le monde n’est pas égal face au suicide. Le passage à l’acte serait soit corrélé avec un faible niveau d’éducation soit avec un état psychique fragile. Afin d’éclaircir ce point, Vincent Lorant, professeur à l’Institut de recherche santé et société de l’UCLouvain, avec un consortium de chercheurs européens, a mis en regard les données des recensements et les certificats de décès dans 12 pays européens, dont la Belgique. Il démontre que des vulnérabilités préexistantes expliquent l’association négative entre scolarité et suicide. Et plaide pour qu’elles soient identifiées et prises en charge dès la scolarité.
Les hypothèses concurrentes à départager
Deux hypothèses concurrentes ont été passées au crible.
L’une, structurelle, émettait l’idée que le niveau de scolarité, lequel donne accès à davantage de ressources et de confort, diminuait le risque de suicide.
L’autre misait sur l’existence de facteurs de vulnérabilité préexistants au parcours scolaire et aux troubles psychiatriques (qui sont un facteur majeur de suicide), ce qui expliquerait un risque plus important chez certaines personnes.
Jusqu’ici, la littérature scientifique n’était pas parvenue à départager ces facteurs ‘confondants’. « Ce n’est pas qu’une question académique », souligne Vincent Lorant, « car la réponse permet de savoir quelle politique mener : soit augmenter le niveau de scolarité, soit repérer très tôt, dans les parcours de vie, les facteurs de vulnérabilité. »
Une enquête en différents points
De par leur enquête, les chercheurs ont validé clairement la seconde hypothèse : le poids de facteurs de vulnérabilité préexistants est prépondérant.
Pour arriver à cette conclusion, ils ont examiné plusieurs points. Tout d’abord, les changements de législation concernant l’âge légal de la scolarité obligatoire : si un niveau de scolarité plus élevé était à même de réduire la mortalité par suicide, ces changements en faveur d’une augmentation du niveau d’éducation auraient dû avoir un effet positif. Or, ce qui n’est pas le cas.
Ensuite, les scientifiques se sont penchés sur une analyse des inégalités en matière de suicide chez les moins scolarisés et les plus scolarisés. Ces inégalités diminuent au fur et à mesure que les cohortes vieillissent, ce qui fait pencher la balance en faveur de la 2e hypothèse.
Détecter les vulnérabilités précocement
Dès lors, si l’on veut réduire le taux de suicide, il importe de déceler beaucoup plus tôt les vulnérabilités chez les jeunes adultes. En particulier chez les hommes, davantage sujets au suicide que les femmes.
Or, en Belgique, la priorité est donnée au traitement des problèmes de santé mentale chez les adultes et les personnes âgées alors qu’on sait que le déclenchement des troubles psychiatriques apparaît, dans 75 % des cas, avant 24 ans.
« Le système scolaire n’est pas équipé pour repérer ce type de troubles et quand des intervenants en santé mentale sont sollicités, c’est en dehors du système scolaire. Mais, de leur côté, les patients et les familles s’accommodent souvent de la maladie jusqu’à atteindre un point de rupture », explique le chercheur.
Alors que la crise de la Covid-19 met à mal, notamment, la santé mentale des jeunes, le chercheur constate que les centres de santé mentale reçoivent beaucoup d’enfants et d‘adolescents, mais que le public des jeunes adultes est sans doute laissé pour compte.
La Belgique, mauvais élève
Par ailleurs, en Belgique, le taux de suicide des hommes atteint 24/100 000 habitants. Il est un peu plus élevé en Wallonie qu’en Flandre, Bruxelles arrivant derrière. La Région wallonne a mis en place un plan pour la promotion de la santé qui fixe comme objectif une réduction de 10 % du taux de suicide.
« C’est peu ambitieux, estime le chercheur, puisqu’on constate depuis plusieurs années, partout dans le monde, une diminution d’environ 10 % de ce taux. Cette diminution de 10 % aurait eu lieu en ne faisant rien. »
Chez nos voisins néerlandais, le taux de suicide est de 15 pour 100 000 habitants. Comment expliquer cette différence avec notre pays ? « Elle tient, selon Vincent Lorant, à la façon dont sont organisés les services de santé mentale. » Il relève entre autres le manque de continuité des soins à la sortie de l’hôpital psychiatrique belge. Et rappelle que la littérature scientifique indique qu’à peine un tiers des personnes concernées viennent frapper à la porte des services d’aide. « Il faut changer d’approche ».