« Je n’en ai jamais parlé et je ne le ferai jamais », explique Maurice, 72 ans. Pas moins de 44 % des personnes âgées de plus de 70 ans ont subi au moins un type de violences sexuelles au cours de leur vie. Et une sur 12 déclare en avoir été victime au cours des 12 derniers mois. 60 % n’ont jamais divulgué les faits et 94 % n’ont jamais demandé de l’aide. Ces chiffres font partie des résultats d’une étude inédite, menée à l’échelle du pays, soutenue par Belspo et dénommée UN-MENAMAIS, visant à comprendre les mécanismes, la nature, la magnitude et l’impact de la violence sexuelle en Belgique.
D’abord les membres de la famille
Pour la réaliser, 5000 personnes de la population générale âgées de plus de 16 ans ont été interrogées, dont 513 interviews structurées en face-à-face avec des personnes âgées de plus de 70 ans. Par ailleurs, tous âges confondus, plus de 150 entretiens qualitatifs, approfondis ont été menés avec des victimes de violences sexuelles. Ces entretiens ont été réalisés avant le début de la crise Covid. Et ont pris fin en mars 2020.
Chez les personnes âgées, les types de violences les plus rapportés sont les regards sexuels non-consentis (18,5 % en ont subi au cours de leur vie ; et 2,5% au cours des 12 mois précédant l’entretien), les remarques à connotations sexuelles non consenties (16 % ; 3%), et le fait d’avoir été embrassé(e) sans consentement (16 % ; 2%).
L’auteur est plus jeune que la victime et son âge moyen est de 50 ans. « Presque 60 % des auteurs étaient des personnes que les victimes connaissaient. Concernant les violences sexuelles ayant eu lieu au cours de l’année écoulée avant l’entretien, les auteurs étaient d’abord des membres de la famille, puis des amis qui ont de l’autorité, et enfin des connaissances », explique Adina Cismaru Inescu, chercheuse au sein de UN-MENAMAIS et doctorante en sciences psychologiques et de l’éducation à l’ULiège. Dans le cadre de sa thèse, elle étudie spécifiquement le regard de la société sur la sexualité des aînés.
Les agressions sexuelles entraînent des problèmes de santé mentale chez les victimes âgées. « Nous avons pu constater des associations avec de la dépression et de l’anxiété, un syndrome de stress post-traumatique et, surtout chez les femmes âgées, une consommation abusive d’alcool », pointe Pre Ines Keygnaert (Ugent), coordinatrice du projet de recherche UN-MENAMAIS. Celui-ci rassemble des chercheurs de l’Université de Liège, de l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC) et de l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH).
« A la suite de notre recherche collective, nous recommandons de faire des campagnes de sensibilisation pour que le grand public soit au courant qu’un tiers des personnes âgées continue à avoir une vie sexuelle active ; mais aussi que la violence sexuelle n’est pas quelque chose qui s’arrête à un certain âge », mentionne Adina Cismaru Inescu.
Renforcer la prise en charge
« De plus, il est nécessaire que les professionnels de la santé qui travaillent avec des personnes âgées soient mieux outillés pour aborder la question de la sexualité à l’âge avancé. Et pour aborder avec eux les violences sexuelles », poursuit-elle.
Les victimes de tout âge souffrent du manque de formation des soignants concernant les violences sexuelles. Sur les 2100 médecins qui ont participé à l’étude, près de 70 % (1951 d’entre eux) ont rencontré au moins une victime de violence sexuelle au cours de sa carrière. Celle-ci se manifestant souvent plusieurs années après les faits. « Les médecins semblent se préoccuper principalement des conséquences médicales et psychologiques des violences sexuelles. Et sont, en raison de leurs faibles connaissances et formation dans ce domaine, moins soucieux d’orienter les victimes vers des services où des preuves médico-légales peuvent être recueillies de manière qualitative ou vers les autorités judiciaires appropriées », explique Pre Ines Keygnaert.
« Ce n’est pas étonnant, car les prises en charge médico-légale ne font pas partie de leur cursus. Il faut que cela change. Et pas que pour les médecins, pour tous les soignants, y compris les psychologues. On constate, en effet, que bien peu d’entre eux sont formés en traumas sexuels », poursuit-elle.
Dans la population générale, 48 % des hommes et 81 % des femmes déclarent avoir été victimes de violences sexuelles, du viol aux regards sexuels non consentis. A peine 7 % demandent de l’aide formelle et 4 % déposent plainte.
« La violence sexuelle en général constitue un enjeu public majeur en matière de santé, de justice et de société en Belgique qui peut provoquer à long terme des problèmes de santé chroniques (sexuel, reproductif, physique, mental) pour la victime, ses pairs, sa descendance et sa communauté. »