Après les confinements successifs et la fermeture de commerces désignés comme non-essentiels ou encore la mise en pause des cafés et des restaurants, les trottoirs ont été investis par les commerçants, lesquels ont fait gagner en étendue l’espace disponible. Et là où cette manœuvre était impossible, des places de stationnement ont été converties en espaces de consommation.
En plus de cette nouvelle occupation de la partie de la voirie traditionnellement réservée aux piétons, on y a vu fleurir ces dernières années des barres à vélo, des panneaux publicitaires, des stations de vélos partagés ou encore des trottinettes en libre-service. Tout ces objets sont venus s’ajouter aux poubelles, aux étalages ou encore aux travaux qui émergent temporairement çà et là.
La fluidité des déplacements des piétons sous la loupe
Cette évolution soulève une question simple : la place sur les trottoirs, ne se fait-elle pas rare au point de causer une importante gêne pour les piétons ? Et, par la même occasion, cette évolution les amène-t-elle à modifier leurs habitudes de déplacements ? A Bruxelles, une équipe de trois chercheurs a souhaité faire le point sur cette thématique.
Alexis Creten, sociologue au sein de l’UCLouvain (IRSS), Aniss Mezoued, architecte urbaniste chargé de cours invité à l’UCLouvain et coordinateur de recherche à l’Université Saint-Louis (Bruxelles) ainsi que Quentin Letesson, archéologue et urbaniste actuellement chargé de cours invité et chercheur à l’UCLouvain, viennent de consigner leurs observations relatives à ces questions dans la dernière publication en date de Brussels Studies, la revue scientifique consacrée aux recherches sur Bruxelles.
« Dans la capitale, la politique de mobilité régionale met de plus en plus l’accent sur la mobilité douce », rappellent les chercheurs. « Y compris les déplacements des piétons. Bruxelles Mobilité, l’institution en charge de la mobilité régionale, a d’ailleurs élaboré des PAVE (Plans d’accessibilité de la voirie et de l’espace public), spécifiquement dédiés aux piétons ».
Une étude quantitative doublée de parcours commentés
Les trois chercheurs ont opté pour une double démarche dans leur étude. Leur méthodologie combine une série de mesures quantitatives et des parcours piétons commentés, afin de saisir la diversité des gênes et leur perception. Tous les piétons ne sont, en effet, pas logés à la même enseigne. Les gênes à leur circulation sont perçues différemment quand il s’agit d’une personne souffrant d’un handicap, quand on manie une poussette ou quand on est seul à se mouvoir.
Leurs constats dépassent, cependant, la simple liste des gênes rencontrées en chemin. Menées dans plusieurs artères commerçantes de la capitale, en raison de leur caractère exemplaire (concentration des flux piétons et des gênes liées aux étalages et aux déchets associés aux commerces), leurs analyses qualitatives nuancent ce que les seuls comptages et descriptions apporteraient. Des nuances apportées par le type de gênes rencontrées sur les trottoirs et par le type d’usagers.
Les terrasses de l’Horeca sont plutôt bien perçues
« Loin d’être perçues négativement, les gênes liées aux établissements de commerce et de l’Horeca sont bien mieux tolérées que d’autres, qui apparaissent comme illégitimes », indiquent les chercheurs. « Là où les tringles à vêtements, les cartons et les tables font partie de l’ambiance urbaine, les trottinettes et les panneaux publicitaires sont perçus comme des nuisances qu’il faudrait réguler. »
Les résultats précisent aussi que le ressenti et les degrés de gêne varient fortement en fonction de l’environnement (combinaison de gênes) et des profils de piétons. « Pour faciliter le déplacement piéton, la solution optimale ne semble pas relever du strict dégagement de l’espace public, mais bien de la mise en œuvre de multiples solutions locales, tenant compte des divers besoins en présence, de manière à satisfaire au mieux l’ensemble des besoins », estiment les trois scientifiques.
Les chercheurs plaident en faveur d’une prise en compte dynamique de la problématique des gênes piétonnes, adaptée localement et en concertation avec tous les acteurs qui influencent les conditions de circulation sur les trottoirs.
« Ce n’est qu’à cette condition que la marche, placée au cœur du plan Good Move bruxellois comme meilleur mode de déplacement à courte distance, gagnera en convivialité et en attractivité pour tous les piétons », disent-ils.